1973-2023 – Interview au journal l’Humanité

1973-2023 – Interview au journal l’Humanité

1973-2023 – Interview au journal l’Humanité

Le 28 août 2023, le journal l’Humanité a consacré un dossier aux crimes racistes commis en 1973 à Marseille. J”ai été interrogée à cette occasion.

1973-2023 – Interview au journal La Marseillaise

1973-2023 – Interview au journal La Marseillaise

1973-2023 – Interview au journal La Marseillaise

À l’occasion des cinquante ans des attentats racistes qui ont été commis à Marseille et dans le reste de la France, le journal La Marseillaise a consacré le 25 août ses trois pages d’ouverture au souvenir de ces ratonnades. Dans ce contexte, j’ai été interviewée. Voici le texte.

 

« Le contexte fait que les souvenirs ressurgissent »

 

Ancienne militante des étudiants communistes et syndicaliste CFDT, la romancière Dominique Manotti a longuement enquêté sur les assassinats racistes de l’été 1973 à Marseille et en a tiré un roman, “Marseille 73”. Elle alerte sur les résurgences toujours actuelles de cette haine.

 

La Marseillaise : Il y a cinquante ans, une vague de crime racistes s’abattait sur Marseille. Comment en est-on arrivé là ?

Dominique Manotti : C’était une atmosphère relativement courante en France. On n’est pas loin de la guerre d’Algérie, une guerre qui reposait sur un contrôle ultra-violent de la population à travers des déplacements en masse, une utilisation systématique de la torture, la politique des disparitions. Tout ça, réalisé par des Français qui vont revenir en France. La police marseillaise était composée en partie non négligeable de policiers revenant directement d’Algérie, de même que le corps préfectoral. Ensuite, il y a un deuxième aspect très important, c’est la fin des années d’expansion des Trente glorieuses. Et donc dans un contexte de crise, l’étranger est désigné responsable de toutes les catastrophes qui arrivent. À Marseille, c’est une crise très violente et très réduite dans le temps, mais une vague va toucher la France entière dans la deuxième moitié de l’été 1973. Il y a 18 morts à Marseille en trois semaines, il y en a une cinquantaine dans la France entière en trois, quatre mois. C’est une réalité française. Il y a un racisme violent qui est une composante quasi permanente de l’Histoire de France depuis le XIXe siècle et qui est masquée, parce qu’il y a une forte tendance au déni.

 

Quelle a été la réaction des syndicats face à ces crimes racistes ?

D.M. : Il n’y a jamais eu d’appel raciste, pas plus à la CGT qu’à la CFDT, ça c’est clair. Par contre, il y avait un discours général qui disait, pas de revendication spécifique : on ne divise pas la classe ouvrière. Mais il y a quelque chose d’incroyable qui s’est passé à Marseille.Il y a eu une grève de travailleurs immigrés, seuls, contre les massacres, contre les assassinats. Le premier appel a été aux chantiers navals. Il y avait 1800 travailleurs immigrés aux chantiers de La Ciotat et il y a eu 1800 grévistes. Le chantier a été obligé de s’arrêter. Cette grève a eu lieu au début du mois de septembre et dans la foulée, le Mouvement des travailleurs arabes a lancé une grève sur l’ensemble du département des Bouches-du-Rhône. Ils ont eu 30000 grévistes. Je ne sais pas si vous l’imaginez, le MTA, c’était une organisation quasi inexistante ! Ça traduit la profondeur du désespoir des travailleurs immigrés. Là-dessus, ils n’ont eu aucun soutien. Il y a eu une journée de dépôt de pétitions dans les directions d’entreprise, mais c’était un geste symbolique.

 

Vous avez rencontré la famille de Ladj Lounès, tué le 29 août. Quel souvenir en garde-t-elle ?

D.M. : Le souvenir reste un souvenir qui ne passe absolument pas. Ladj Lounès a été assassiné par un brigadier-chef de la sûreté nationale, qui après une soirée bien arrosée, a pris son arme de service, sa voiture personnelle et est allé tuer un inconnu. C’est dire à quel point les tueurs étaient absolument sûrs de leur impunité. C’est le seul assassin qui a été retrouvé, pour la bonne raison que c’est la famille qui l’a retrouvé. Ils ont mis un an et demi, mais ils y sont arrivés. Mais il n’est pas arrivé au procès parce qu’il avait un problème cardiaque. Il a été enfermé en préventive, on ne lui a pas donné son traitement et il est mort. Aucun assassin n’a été jugé.

 

Quelle mémoire reste-t-il de ces crimes ?

D.M. : C’est en train de revenir. Quand j’ai commencé à écrire le roman il y a à peu près quatre ans, il y avait une mémoire presque totalement inexistante à Marseille même. Les seuls qui s’en souvenaient, c’est des gars qui avaient vécu ça d’une façon militante, une toute petite minorité. Les jeunes générations ne s’en souvenaient absolument plus. Mais il y a un contexte de violences policières, le fait que le gouver- nement Macron repose à peu près exclusivement sur sa police qui fait que les souvenirs ressurgissent. J’ai été très frappée de voir à quel point il va y avoir des évènements sur 1973 dans les prochains mois.

 

On ne peut justement s’empêcher les parallèles avec la période actuelle

D.M. : C’est ça qui ranime la mémoire. Les gens qui en parlent sont écoutés, mais ce n’est pas l’histoire qui intéresse, ce sont les échos d’aujourd’hui. Aujourd’hui, la violence policière est extrêmement racisée. Le gouvernement est prêt à faire des concessions sur des cas individuels, mais actuellement, ce qui est en place, ce sont des mécanismes institutionnels pour développer le racisme, comme quand vous basez l’action de la police de « proximité » sur les contrôles d’identité au faciès. On n’a pas idée, quand on ne les subit pas, de la violence du mécanisme. C’est quelque chose d’incroyable. C’est l’humiliation permanente. Il ne peut pas y avoir de pacification dans ce cadre, c’est impossible. C’est pour ça que j’ai une peur terrible de l’élection de 2027.

Propos recueillis par Yves Souben

French Confection et roman noir

French Confection et roman noir

French Confection et roman noir

La très belle revue L’âme au Diable vient de publier son troisième numéro. Son créateur, Stéphane Balcerowiak, m’a demandé d’y contribuer. Dans ce court texte je reviens sur ce qu’a été ma démarche d’écrivaine.

Marseille 73, le choix du roman

Marseille 73, le choix du roman

Marseille 73, le choix du roman

Le 28 avril j’ai participé à une journée d’études organisée par l’Iméra (Institut d’études avancées) intitulée Marseille, 73 : questions d’histoire et de mémoire. Cette journée d’est déroulée au Musée dhistoire de Marseille. Elle a recueilli les contributions de :

    • Jim House, historien (Université de Leeds) cheville ouvrière de cette journée,  qui a proposé une analyse comparative entre octobre 1961 à Paris et les violences à Marseille en 1973.
    • Yvan Gastaut, historien (Université de Nice – Sophia Anripolis) sur le thème “Marseille une ville sous tension”.
    • Rachida Brahim, sociologue, psychanalyste, autrice de La race tue deux fois.
    • Pour ma part j’ai été invitée à répondre à la question “Pourquoi écrire un roman sur 1973”.

Les organisateurs de cette journée d’études publieront le compte rendu des travaux ultérieurement. Vous trouverez ci-dessous les lignes de force de mon intervention. Il est aussi possible de la télécharger.

Journée d’études  Marseille 1973

Musée d’histoire de Marseille
28 avril 2023

 

Une question m’avait été posée comme thème de mon intervention : pourquoi un roman sur Marseille en 73 ?

 

Je vais d’abord répondre à un aspect de la question : pourquoi avoir choisi d’écrire sur Marseille à l’été 73 ?

Il y a quelques années je découvre par hasard, en feuilletant la presse régionale à l’occasion d’autres recherches, les courtes mentions des 17 ou 18 assassinats de Maghrébins, essentiellement des Algériens commis cet été-là. La presse régionale les présente comme des faits divers très ordinaires. Militante à l’époque en région parisienne, je n’en avais jamais entendu parler, donc je m’y intéresse. Ces crimes ne sont certes pas « exceptionnels » au sens où ils s’insèrent dans une longue suite de violences racistes dans la région. Mais très vite, ces faits divers-là m’apparaissent comme lourdement « porteurs d’Histoire » pour deux raisons principales.

La première : cette vague de 17 ou 18 assassinats racistes se produit dans un laps de temps très court. Elle commence dans la nuit du 28 aout 1973, au soir de l’enterrement d’un traminot marseillais assassiné par un Algérien, accompagné jusqu’au cimetière par un cortège de plus de cinq mille personnes dont les militants syndicaux qui l’encadrent ont beaucoup de mal à empêcher les débordements racistes. Le premier assassinat a lieu dans la nuit du 28, un jeune de 16 ans abattu à l’arme de poing, suivi, en à peine deux jours, de deux autres meurtres, un Algérien le crâne fracassé à la hache le long d’une ligne de chemin de fer, un troisième retrouvé mort dans une mare de sang à l’Estaque.

Le mode opératoire pendant l’ensemble de la « vague » est bien marqué. Les assassinats ne sont jamais revendiqués. Ils sont commis la nuit, par des individus isolés ou en tout petits groupes, avec des armes diverses, souvent des pistolets ou des fusils à canon scié, mais aussi des armes très artisanales, crânes fracassés à coups de pierre ou de hache, chutes dans le Vieux Port. Je verrais bien les assassins comme des alcoolos qui sentent subitement le besoin de « s’en faire un ». Il existe aussi pendant le même temps quelques attaques de foyers immigrés aux cocktails Molotov, mais cela me semble marginal, lié au climat de haine raciste d’une extrême violence, affichée dans toute la ville. Des groupes comme le tout jeune Front National ou Ordre Nouveau moribond jouent un rôle, mais marginal. La « couveuse » de la campagne d’assassinats me semble être le « Comité de Défense des Marseillais », une organisation éphémère créée le jour de l’assassinat du traminot, dont le siège social est à l’adresse du Front national de Marseille mais dont le lieu de réunion est le café du célèbre Théo Balalas, émigré grec bien connu dans toute la ville, grand ami des survivants de l’OAS et des colonels dictateurs au pouvoir en Grèce dans ces années là.Dans son café, se rencontrent quelques fortes personnalités locales autour d’un grand nombre de verres de pastis, c’est un lieu de bouillonnement, de rencontres et d’entrecroisements plus que de décisions centralisées. Les auteurs des crimes sont connus de beaucoup de gens dans la ville, mais tout le monde se tait, d’ailleurs personne ne pose de questions. 17 ou 18 assassinats, il n’y aura aucun procès. Ils sont couverts par un très large pan de la population, y compris, bien sûr, police et justice. Nous sommes bien au-delà du fait divers, ces meurtres expriment « l’esprit d’un peuple » à un moment donné de son histoire. Et ensuite, les criminels et leurs crimes disparaissent des mémoires, de l’histoire, ils sont ensevelis pour des années. Ce qui, de nouveau, en dit beaucoup sur la France et son rapport à sa propre histoire. Fascinant.

Deuxième raison qui me bouleverse : la présence dans cette histoire du MTA et de ses appuis d’extrême gauche, qui changent la donne en organisant contre les assassinats racistes les deux premières grèves de travailleurs immigrés en France, dirigées par les immigrés eux-mêmes. Des grèves victorieuses. Grève le 31 aout au chantier naval de La Ciotat, les 1800 travailleurs immigrés n’embauchent pas, le chantier s’arrête. Deuxième appel à la grève dans tout le département des Bouches du Rhône, le 3 septembre, là, les statistiques sont plus incertaines, mais on parle de 30 à 40 000 grévistes, ce qui est considérable, sans parler des petits commerçants arabes en ville, qui baissent le rideau. Ce succès aussi inattendu qu’incontestable provoque deux types de réactions. CGT et CFDT ne peuvent pas ne pas réagir. Elles sont hostiles par principe à des actions spécifiques de travailleurs immigrés, qui divisent la classe ouvrière disent-elles. Elles ne les soutiennent donc pas et lancent ensemble une journée nationale de protestation contre la montée du racisme, et la circulaire Fontanet – Marcelin, qui se résume en délégations auprès de la direction au sein des entreprises. C’est un rendez-vous manqué, il y en aura d’autres, c’est une cassure qui n’est toujours pas surmontée, une clé dans l’histoire de la faillite de la gauche.

Mais les gouvernements algérien et français réagissent aussi, de leur côté. Boumediene ne veut pas perdre la main sur l’immigration algérienne en France, il constate que son relais, l’Amicale, qui s’est opposée au MTA, perd la main. Et après beaucoup d’hésitations, il se décide à stopper l’immigration vers la France, le 19 septembre, « tant que la sécurité des ressortissants algériens ne sera pas assurée sur le territoire français ». Pompidou n’entend pas se brouiller avec l’Algérie, les enjeux économiques sont trop importants (notamment le pétrole saharien), des contacts sont pris avec Boumediene. Et la vague d’assassinats telle qu’on l’a connue à Marseille depuis le mois d’aout cesse vers le deuxième tiers du mois de Septembre. L’action du MTA a été efficace. Balalas a-t-il servi d’intermédiaire pour « débrancher » le « Comité de Défense des Marseillais » ? Compte tenu de l’ambiguïté du personnage (ami de Charles-Émile Loo, très proche collaborateur de Defferre, et adhérent au PS dès 1974, il y occupera des responsabilités jusqu’à sa mort), je me suis autorisée à le suggérer. Et j’arrête mon roman à ce moment-là.

Je sais qu’il y a eu un massacre, le 14 décembre 1973, au consulat d’Algérie à Marseille, une grosse explosion, 5 morts, 24 blessés dont beaucoup de d’analyses font le point final de la « crise des attentats » dont nous venons de parler. Pour moi, l’attentat contre le consulat est de toute autre nature que la crise précédente. C’est le début d’une autre séquence. Cet attentat à la bombe nécessite de gros moyens, ne vise pas un individu dans une sorte d’affrontement d’homme à homme jouissif (aucune femme parmi les victimes pendant les attentats d’aout septembre), mais il vise l’État algérien à travers ses biens immobiliers, il est revendiqué par un « Groupe Charles Martel » qui travaille avec des associations de Pieds Noirs, et avec une organisation très bizarre, le SOA (Soldats de l’Opposition Algérienne). Il inaugure une nouvelle série d’attentats, toujours à a bombe, une bonne dizaine pendant l’année 75, revendiqués par les mêmes organisations, qui s’attaquent aux mêmes cibles, des bâtiments de l’État algérien ou de l’Amicale, en France et ailleurs en Europe, toujours selon le même mode opératoire, la plupart du temps, peu de victimes, et dont les auteurs ne sont jamais inquiétés. Point d’orgue, le SOA finit par mener une opération de commando de « débarquement clandestin » en Algérie, contre la dictature de Boumediene en janvier 1976. Les hommes du SOA pensaient être « accueillis avec des roses » par l’opposition à Boumediene. Ils parviennent à faire sauter une bombe devant El Moudjahid, puis en moins d’une semaine, toute la bande est arrêtée et emprisonnée, pour un long laps de temps. Il y avait parmi eux un ancien de la CIA, un autre était lié de longue date au SDECE. On est dans John le Carré plus que dans le roman noir. Cela en dit long sur ce qu’est l’Etat français à cette époque sous Giscard (réorganisation du SDECE, priorités Afrique, Amérique Latine), mais cela n’a  pas la même portée historique que la crise marseillaise, qui, elle, nous parle de la conscience et de la culture de tout un pan du peuple français.

Et j’ai même envie de suggérer que clore la crise de l’automne 73 sur l’attentat contre le consulat aboutit à invisibiliser le rôle du MTA : des grèves pour rien.

 

Il reste un pan de la question initiale : Pourquoi avoir choisi la forme romanesque ? Choix très personnel. Je répondrai très brièvement.

Je choisis l’Histoire en entrant en fac, en 1960, en même temps que je commence à militer, et que je deviens marxiste, tendance Gramsci et Luxembourg. J’acquiers ma formation d’historienne en symbiose avec mon activité militante, comme un travail d’expertise, d’expérimentation en laboratoire sur le passé, pour comprendre et agir au présent.

Au bout de vingt ans de liaison heureuse entre Histoire et militantisme, arrive l’élection de Mitterrand à la présidence de la République, au milieu de la liesse populaire en 81.  Autour de moi, de tous côtés, les militants syndicaux, les militants socialistes se réfèrent au Front Populaire, dans une sorte d’incantation. « Comme en 36… la gauche au pouvoir… on a gagné, on va changer le monde… ». La dynamique sociale et politique du Front Populaire n’était pas du tout la même que celle de l’Union de la gauche mitterrandienne, qui reposait non sur l’articulation entre luttes sociales et luttes politiques, mais sur l’hégémonie du politique. Pour moi, la désillusion est brutale. Je n’ai pas cru un instant à Mitterrand, je me suis dit que la gauche en France, c’était fini pour longtemps, et que l’Histoire ne servait pas à grand-chose dans la réflexion des politiques. Dans les coulisses du pouvoir, on ne trouve pas de conseillers Histoire, mais beaucoup de conseillers Communication.

Je me suis alors mise en pause, j’ai arrêté de militer, et j’ai réalisé que, pour moi, si l’Histoire ne me servait plus à penser l’action dans le présent, elle m’intéressait beaucoup moins. J’aurais aimé faire l’histoire de ma génération, pour comprendre ses réussites et ses échecs, comprendre pourquoi elle s’est fracassée, mais je me savais trop impliquée personnellement pour pouvoir entreprendre un travail d’historienne. J’ai recommencé à lire des romans, beaucoup de romans, sans savoir exactement ce que j’y cherchais. Et puis, il y a eu la rencontre avec L.A. Confidential, de Ellroy. J’ai vécu avec passion pendant quelques temps à Los Angeles, j’ai croisé des personnages que j’ai aimés ou détestés, j’ai eu peur, j’ai eu la haine. Finalement, j’ai beaucoup mieux compris Los Angeles qu’à travers le très bon livre de sociologie de Mike Davis City of Quartz, que je venais de lire juste avant ma rencontre avec Ellroy. Idée simple : si la lecture d’un roman (un très bon roman) m’a aidée à comprendre un morceau du monde, l’écriture de romans sur l’expérience de ma génération m’aiderait-elle à comprendre pourquoi et comment elle s’est fracassée ? Et si je parviens à bien la raconter, à la faire vivre, je peux peut-être aussi contribuer à la transmettre, à faire de l’histoire d’une autre façon. A peine la dernière page d’Ellroy finie, je m’y suis attelée, et j’y suis encore.

Le choix du sujet de Marseille 73 répond à cette quête.

Il est possible de télécharger cette intervention en cliquant ICI

Polarville – Une préface

Polarville – Une préface

Polarville – Une préface

Les Presses Universitaires de Lyon viennent de rééditer Polarville de Jean-Noël Blanc et m’ont demandé de rédiger une préface.
La voici ci-dessous.

POLARVILLE
Préface
Dominique Manotti

Après un militantisme politique et syndical dans les années 1960 et 1970, je me suis retrouvée profondément découragée par l’arrivée de François Mitterrand au pouvoir et la ferveur populaire qui l’a entourée. Je craignais que l’expérience de ce pouvoir socialiste là entraine la liquidation de la gauche en France pour de longues années.

Un peu par désœuvrement, je suis retournée à la lecture assidue de romans, avec une dominance de romans noirs américains. En 1991, la rencontre avec L. A. Confidentiel de James Ellroy a alors été un choc, la redécouverte de la puissance de la littérature, que j’avais oubliée depuis bien des années. J’ai vécu à Los Angeles avec ces flics, ces truands, ces hommes politiques. J’ai mieux compris avec le roman d’Ellroy ce qu’entait Los Angeles qu’avec la remarquable étude de sociologie de Mike Davis, City of Quartz. Ellroy m’a donné́ envie pour la première fois de ma vie de tenter d’écrire des romans, de raconter ma génération, ses combats et ses échecs. Et ce seraient des romans noirs.

À la même époque, la lecture de Polarville de Jean-Noël Blanc me plonge dans la culture du polar comme littérature mythique, poétique, centrée sur l’image de la ville noire fantasmée et du privé solitaire, héritier du cowboy des westerns, une littérature strictement « encadrées » par ses propres règles, ses propres mythes. J’étais bousculée, intéressée par cette vision, qui n’était pas la mienne, mais je ne voulais pas de « règles ». Je suis Parisienne, je connais ma ville pour l’avoir parcourue en tous sens pendant une vingtaine d’années et je l’aime. J’avais envie de construire mon propre regard sur Paris en tant que ville noire plutôt que de me conformer aux « règles du genre ». J’ai donc plongé dans mes souvenirs, mes expériences.

Le Sentier, le quartier de la confection parisienne en 1980, en plein centre de Paris, des milliers de travailleurs clandestins, qui bossent dans des centaines de minuscules ateliers, clandestins eux aussi, installés dans des immeubles d’habitation, qui monopolisent des rues entières, et parviennent à passer inaperçus. Les ateliers sont étroits, insalubres, les installations industrielles bricolées, un flot d’argent noir circule, jusqu’aux paradis fiscaux du Moyen-Orient, personne ne voit rien, ne dit rien. Les rapports entre les travailleurs sont solidaires et chaleureux, violents aussi parfois, jusqu’aux échanges de coups de ciseaux ou de cutter, les adversaires vont ensemble se faire recoudre à l’hôpital, puis s’arrangent entre eux. Et un jour, tout ce monde clandestin explose, les travailleurs descendent dans la rue à la stupeur générale, ils combattent, gagnent leur régularisation. Les rapports entre les groupes sociaux changent, le quartier ne convient plus, la production de la confection déménage, les Chinois remplacent les Turcs, le quartier passe à autre chose. Ce sera le lieu de mon premier roman, paru en 1995, Sombre Sentier.

Avant d’être un paysage, la ville du xxe siècle est ce lieu où affluent des gens, où ils travaillent et vivent, où se forment des groupes sociaux, où ces groupes se croisent, s’allient, se combattent, vivent et meurent. Ils s’inscrivent dans un paysage urbain qui marque leur mémoire et leur culture, et qu’ils remanient en permanence. Et c’est cette symbiose que je voulais parvenir à rendre palpable pour le lecteur, avec une économie de moyens, parce qu’on est dans le roman noir.

Et je retrouve, en relisant Polarville aujourd’hui, la conclusion de Jean-Noël Blanc, dont je n’avais pas gardé le souvenir après ma première lecture. La nouveauté fondamentale des années 1980, nous dit- il, c’est que « le polar est peut-être en train d’abandonner sa propre mythologie et […] pour la première fois de son histoire, d’admettre que la réalité urbaine n’est pas une monstruosité ». Un renouveau du genre serait-il à l’œuvre, dans lequel je pourrais plus facilement me retrouver à mon aise ? Pas si vite. « Dans le réalisme, le polar se meurt… Il ne reste plus que le roman policier… Retour à Agatha Christie. »

Vraiment ? Beaux débats en perspective.

Pour télécharger cette préface

Intervention au festival MOT (Gérone, Espagne)

Intervention au festival MOT (Gérone, Espagne)

Intervention au festival MOT (Gérone, Espagne)

MOT est un festival littéraire organisé conjointement par les mairies de Gérone et d’Olot, en Catalogne. Il a lieu chaque année au printemps.

Chaque année, le festival choisit un mot, un thème qui sert de fil conducteur à l’édition et propose un programme d’événements littéraires par des écrivains et des intellectuels. En 2023 le MOT est Pànic, la peur.

Jeudi 16 mars 2023 je suis intervenue à distance, depuis Paris, en visioconférence, à partir d’une expérience vécue : le procès des patrons de France Télécom, dont j’ai rendu compte, comme de nombreux intellectuels et artistes pour le syndicat Solidaires (voir sur ce site La peur en partage et Procès en appel de même que la présentation du bouquin La raison des plus forts,  contenant l’ensemble des chroniques concernant le premier procès).

Ci dessous on trouvera la petite présentation vidéo de ce thème, puis le plan sommaire sur lequel je me suis appuyée pour mon intervention du 16 mars.

Plan de l’intervention au Festival MOT, 16 mars 2023
Télécharger ici

Fils de femme, une préface

Fils de femme, une préface

Fils de femme, une préface

Hélène Couturier est une autrice rare et précieuse. À l’occasion de la sortie de son nouveau roman, De femme en femme, les éditions Rivages/Noir publient une nouvelle édition de Fils de femme et m’ont demandé de la préfacer.

Hélène Couturier a publié « Fils de femme » en 1996, il y a plus de vingt cinq ans déjà… Elle fut la première autrice française publiée dans la collection Rivages Noir, de François Guérif qui était en train de changer le paysage du roman noir en France. Et je me souviens du choc que m’a procuré la rencontre avec ce livre. Un ovni. Un conte noir, irréaliste et tragique. Les aventures improbables et déjantées de trois personnages sans envergure, deux petites frappes, l’un obsédé par sa bite, l’autre par sa belle voiture, et une jolie traductrice de chinois qui se croisent et se recroisent pendant vingt-quatre heures, sans que le lecteur ne parvienne à reprendre son souffle. Il y a du viol dans l’air.
Un conte noir parce que ces trois personnages sont bloqués dans leur vie d’adulte par le poids de leurs souvenirs d’enfance, l’omniprésence de la mère. Absente, fantasmée, sucrée, chacun, chacune, l’imagine à sa façon et se rejoue au quotidien sa version de l’origine du monde. Dans une dernière brillante pirouette, l’histoire se finit dans une sorte de meurtre rituel. Toute l’histoire est contée dans un style simple, net, rapide, dans un langage de la vie quotidienne, cru, sans fioriture. Du beau style noir.

J’ai trouvé une réjouissante ironie dans les portraits des personnages comme dans les surprises du récit, mais c’est sans doute ma lecture très personnelle. A chacun la sienne. À lire d’urgence.

Gonzalez, la nostalgérie et nous

Gonzalez, la nostalgérie et nous

Gonzalez, la nostalgérie et nous

L’année 2022 a été conclue par une annonce surprise : la nomination du député RN José Gonzalez à l’une des vice-présidences du groupe d’amitié France Algérie par le Bureau de l’Assemblée Nationale.
Avec Fabrice Riceputi, historien, nous avons écrit un court texte publié dans Le club de Mediapart.

José Gonzalez est sorti d’un relatif anonymat le 28 juin 2022, du fait de son âge et du succès électoral de l’extrême droite. Doyen de la nouvelle Assemblée, le député RN des Bouches-du-Rhône, depuis le perchoir,  faisait ce jour-là très largement applaudir par ses collègues un discours dans lequel il exprimait, des tremolos dans la voix, sa nostalgie de l’Algérie française.

Nourrir personnellement une telle nostalgie est son droit le plus strict. L’exprimer comme un étendard à la présidence de l’Assemblée Nationale était, de la part de ce vieux militant d’extrême droite et de son parti nostalgique de la colonisation, une provocation politique soigneusement calculée. Pour preuve, devant une forêt de micros et de caméras, il déroulait ensuite une rhétorique doucereuse et insinuante typique de tous les négationnistes :   “Je ne pense pas” qu’il y ait eu “des crimes en Algérie dans l’armée française.” “Peut-être que maintenant il faudra revoir l’histoire, mais je ne pense pas. Franchement, je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes. Je ne sais même pas ce qu’était l’OAS, ou presque pas.”

Nous ne rappellerons pas ici la masse énorme de témoignages et de travaux historiques établissant depuis des décennies tant les crimes de l’armée française en Algérie (disparitions forcées, tortures, viols, exécutions sommaires, massacres de civils, usage d’armes chimiques, etc.) que ceux de l’OAS, organisation terroriste la plus meurtrière de toute l’histoire de France, dont les victimes algériennes et françaises tombées en Algérie et en France se comptèrent par milliers. Chacun peut les trouver, même José Gonzalez.

Pointons seulement le fait que si, comme il l’affirme, à 19 ans il était à Oran « après les Accords d’Evian » de mars 1962, alors José Gonzalez peut à bon droit être suspecté d’être un fieffé menteur : durant cette période, l’OAS d’Oran, plus dure encore que celle d’Alger, commettait chaque jour des actes de terrorisme abominables et des assassinats par dizaines que nul ne pouvait ignorer. Pour le cas où il n’aurait pas été lui-même engagé dans ce mouvement, ce qui n’est pas démontré, le fait d’avoir fréquenté ensuite au sein du Front National marseillais, auquel il adhéra dès les années 1970, l’ex-numéro 2 de l’OAS Jean-Jacques Susini, deux fois condamné à mort par contumace pour cela puis amnistié, lui en apprit sans aucun doute énormément sur l’OAS et ses crimes.

Que de tels propos niant les crimes de l’OAS puissent encore être tenus sans sourciller par un député de la nation, que le RN puisse comme à Perpignan célébrer publiquement et aux frais du contribuable les assassins de l’OAS, ceci est à mettre en rapport avec une occultation de ces crimes par la plus haute autorité française. Commémorant le 26 mars 2022 la tuerie de la rue d’Isly du 26 mars 1962, le président Macron, s’adressant aux organisations de « rapatriés » et soucieux de ménager l’électorat pied-noir extrémiste, n’avait-il pas lui-même éludé nettement le rôle de l’OAS dans la tragédie, et, plus largement, sa responsabilité écrasante dans « l’exode » d’une grande partie des Pieds-Noirs, reprenant à son compte le récit mythologique en vigueur chez les nostalgériques comme José Gonzalez ?

Nous ignorons quel degré de nuisance pourra avoir José Gonzalez au sein du groupe d’amitié France Algérie auquel il a été nommé, avec l’aval de la présidence macroniste de l’Assemblée. Mais quel genre d’« amitié » peut donc se construire sur le déni, le mensonge, le négationnisme des crimes du colonialisme ? Et quel message est ainsi envoyé au peuple algérien ? Quel message aux autres peuples jadis colonisés par la France, notamment en Afrique ? Quel message au peuple français, alors que flambe à nouveau le racisme en France comme jamais depuis la guerre d’Indépendance algérienne ?

Cette nomination par le bureau de l’Assemblée Nationale est hautement emblématique de la légendaire et désastreuse bonne conscience coloniale et postcoloniale française. Elle est un symptôme parmi d’autres d’une véritable aphasie postcoloniale, d’une incapacité à reconnaître la réalité de la colonisation et de la guerre coloniale d’Algérie, pourtant fort bien connue. 60 ans plus tard, la République ne parvient toujours pas à dire sa responsabilité première et essentielle de puissance colonisatrice dans tous les malheurs de cette guerre, y compris dans celui de José Gonzalez. Quand donc le pourra-t-elle ?

 

Le 1er janvier 2023

Dominique Manotti (romancière)
et Fabrice Riceputi (historien)

Vague d’assassinats racistes en 1973 : Une discussion sur Mediapart avec Rachida Brahim

Vague d’assassinats racistes en 1973 : Une discussion sur Mediapart avec Rachida Brahim

Vague d’assassinats racistes en 1973 : Une discussion sur Mediapart avec Rachida Brahim

Mediapart a décidé de consacrer une série d’articles à 1973, année charnière. La présentation de cette initiative donne le ton : ” Mediapart vous invite en cette année 2023 à un voyage dans l’année 1973 pour en (re)découvrir les moments plus ou moins connus et mieux comprendre les évolutions du dernier demi-siècle. Des analyses, des récits, des interviews exploreront cette année du choc pétrolier, et de bien d’autres événements, pour tenter de saisir le chemin que le monde a parcouru depuis cinquante années, et parfois le surplace dans lequel il s’est dangereusement enfermé. Un voyage temporel en forme d’aller-retour.”

Pour le troisième épisode de la série, consacré à la vague d’assassinats racistes de 1973, j’ai été invitée par le journaliste Dan Israel, à une discussion avec la sociologue Rachida Brahim, autrice de La race tue deux fois. Une histoire des crimes racistes en France (1973-2000).

On peut lire cette discussion, publiée le 28 décembre dernier, sur le site de Mediapart. Ou en télécharger une version PDF ici.

Quand j’ai écrit Marseille 73 je ne pensais pas que l’histoire allait se reproduire aussi violemment et aussi vite

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À l’occasion du Festival sans nom, j’ai été interviewée par The ligne, chaine présente sur Youtube. En octobre dernier, dans cette vidéo,  j’ai été amenée à insister sur le parallèle entre la situation de 1973 et celle que nous vivons aujourd’hui.