Gonzalez, la nostalgérie et nous
L’année 2022 a été conclue par une annonce surprise : la nomination du député RN José Gonzalez à l’une des vice-présidences du groupe d’amitié France Algérie par le Bureau de l’Assemblée Nationale.
Avec Fabrice Riceputi, historien, nous avons écrit un court texte publié dans Le club de Mediapart.
José Gonzalez est sorti d’un relatif anonymat le 28 juin 2022, du fait de son âge et du succès électoral de l’extrême droite. Doyen de la nouvelle Assemblée, le député RN des Bouches-du-Rhône, depuis le perchoir, faisait ce jour-là très largement applaudir par ses collègues un discours dans lequel il exprimait, des tremolos dans la voix, sa nostalgie de l’Algérie française.
Nourrir personnellement une telle nostalgie est son droit le plus strict. L’exprimer comme un étendard à la présidence de l’Assemblée Nationale était, de la part de ce vieux militant d’extrême droite et de son parti nostalgique de la colonisation, une provocation politique soigneusement calculée. Pour preuve, devant une forêt de micros et de caméras, il déroulait ensuite une rhétorique doucereuse et insinuante typique de tous les négationnistes : “Je ne pense pas” qu’il y ait eu “des crimes en Algérie dans l’armée française.” “Peut-être que maintenant il faudra revoir l’histoire, mais je ne pense pas. Franchement, je ne suis pas là pour juger si l’OAS a commis des crimes. Je ne sais même pas ce qu’était l’OAS, ou presque pas.”
Nous ne rappellerons pas ici la masse énorme de témoignages et de travaux historiques établissant depuis des décennies tant les crimes de l’armée française en Algérie (disparitions forcées, tortures, viols, exécutions sommaires, massacres de civils, usage d’armes chimiques, etc.) que ceux de l’OAS, organisation terroriste la plus meurtrière de toute l’histoire de France, dont les victimes algériennes et françaises tombées en Algérie et en France se comptèrent par milliers. Chacun peut les trouver, même José Gonzalez.
Pointons seulement le fait que si, comme il l’affirme, à 19 ans il était à Oran « après les Accords d’Evian » de mars 1962, alors José Gonzalez peut à bon droit être suspecté d’être un fieffé menteur : durant cette période, l’OAS d’Oran, plus dure encore que celle d’Alger, commettait chaque jour des actes de terrorisme abominables et des assassinats par dizaines que nul ne pouvait ignorer. Pour le cas où il n’aurait pas été lui-même engagé dans ce mouvement, ce qui n’est pas démontré, le fait d’avoir fréquenté ensuite au sein du Front National marseillais, auquel il adhéra dès les années 1970, l’ex-numéro 2 de l’OAS Jean-Jacques Susini, deux fois condamné à mort par contumace pour cela puis amnistié, lui en apprit sans aucun doute énormément sur l’OAS et ses crimes.
Que de tels propos niant les crimes de l’OAS puissent encore être tenus sans sourciller par un député de la nation, que le RN puisse comme à Perpignan célébrer publiquement et aux frais du contribuable les assassins de l’OAS, ceci est à mettre en rapport avec une occultation de ces crimes par la plus haute autorité française. Commémorant le 26 mars 2022 la tuerie de la rue d’Isly du 26 mars 1962, le président Macron, s’adressant aux organisations de « rapatriés » et soucieux de ménager l’électorat pied-noir extrémiste, n’avait-il pas lui-même éludé nettement le rôle de l’OAS dans la tragédie, et, plus largement, sa responsabilité écrasante dans « l’exode » d’une grande partie des Pieds-Noirs, reprenant à son compte le récit mythologique en vigueur chez les nostalgériques comme José Gonzalez ?
Nous ignorons quel degré de nuisance pourra avoir José Gonzalez au sein du groupe d’amitié France Algérie auquel il a été nommé, avec l’aval de la présidence macroniste de l’Assemblée. Mais quel genre d’« amitié » peut donc se construire sur le déni, le mensonge, le négationnisme des crimes du colonialisme ? Et quel message est ainsi envoyé au peuple algérien ? Quel message aux autres peuples jadis colonisés par la France, notamment en Afrique ? Quel message au peuple français, alors que flambe à nouveau le racisme en France comme jamais depuis la guerre d’Indépendance algérienne ?
Cette nomination par le bureau de l’Assemblée Nationale est hautement emblématique de la légendaire et désastreuse bonne conscience coloniale et postcoloniale française. Elle est un symptôme parmi d’autres d’une véritable aphasie postcoloniale, d’une incapacité à reconnaître la réalité de la colonisation et de la guerre coloniale d’Algérie, pourtant fort bien connue. 60 ans plus tard, la République ne parvient toujours pas à dire sa responsabilité première et essentielle de puissance colonisatrice dans tous les malheurs de cette guerre, y compris dans celui de José Gonzalez. Quand donc le pourra-t-elle ?
Le 1er janvier 2023
Dominique Manotti (romancière)
et Fabrice Riceputi (historien)