40 bulles de jazz

40 bulles de jazz

40 bulles de jazz

 J’ai été sollicitée, au début 2021, pour participer à une initiative, sous forme d’exposition,  du Festival Jazz à Vienne.

Depuis une dizaine d’années, indiquait le programme de l’exposition,

le Festival Jazz à Vienne fait dialoguer jazz et bande dessinée dans le cadre de son événement « Traits de Jazz » en partenariat avec JML Arts et la librairie Bulles de Vienne. En 2021, pour célébrer son 40e anniversaire, le Festival a souhaité organiser avec le commissaire Jean-Marc Lonjon, une exposition intitulée « 40 Bulles de Jazz ».Ce projet exceptionnel composé d’œuvres originales, propose un tour d’horizon éclectique des travaux de 40 dessinatrices et dessinateurs qui incarnent la bande dessinée contemporaine (…)
« 40 Bulles de Jazz » fait la part belle au dessin, prétexte même de cette exposition. Mais la bande dessinée ne serait pas le 9e art sans le texte. En écho aux propositions des dessinateurs, 40 écrivains, journalistes ou artistes de renom se sont prêtés au jeu et ont sorti leur plume évoquant leur « coup de cœur », décrivant leur ressenti sur le dessin et/ou sur l’œuvre de l’artiste.

L’exposition s’est déroulée du 10 juin au 11 juillet 2021 au Musée Saint-Romain-en-Gal à Vienne.
Pour ma part, j’ai été fortement intéressée par un dessin de George Shelton. Voici mon texte sur son dessin.

Les Fabuleux Freak Brothers ont, évidement le regard halluciné. C’est normal. Tout au long de leur existence, depuis les années 68, leur principale occupation a été de se procurer des drogues sans se faire coxer par les flics. Une quinzaine d’albums ont illustré leurs exploits, totalement déjantés, où ils se moquent des politiciens de droite, de la police, et bien sûr d’eux-mêmes.

Ils ont été une des principales références du comix, de la BD underground.

Gilbert Shelton a souvent joué du piano et chanté lui-même, il y a quelques années à Paris avec les Blum Brothers. Il connaît la musique.

Sur son dessin, les Freak Brothers jouent aussi de la musique. Musique post ou pré cannabis ? Va savoir ! Ils ont en tous cas une conception joyeuse de leur interprétation. Freewheelin’ Franklin à la guitare, Fat Freddy au soubassophone, dont le pavillon domine et organise le dessin et Phineas à la clarinette nous exécutent une marche ou un morceau de New Orleans. Leur pas est dynamique. Ils laissent à l’arrière-plan les autres musicos, On a envie de marcher en rythme avec eux.

Le très beau catalogue, qui reprend l’ensemble des dessins et contributions écrites peut se commander chez JMl Arts

Ici on noya les Algériens

Ici on noya les Algériens

Ici on noya les Algériens

Ce livre est sorti en Septembre 2021 en librairie. C’est un livre important, pour l’histoire de la France coloniale et de la décolonisation. C’est aussi un livre important pour la réflexion sur le métier d’historien et la façon de l’exercer.

Rapide rappel des faits : Le 17 octobre 1961, pendant que se déroulaient entre Français et Algériens des négociations qui devaient aboutir quelques mois plus tard à la fin de la guerre d’Algérie et à l’indépendance de ce pays, la police parisienne réprima avec une extrême violence une manifestation pacifique de civils algériens qui protestaient contre l’instauration d’un couvre-feu imposée aux seuls Maghrébins. La manifestation, les violences policières se déroulèrent en début de soirée, dans de grands axes de la capitale, devant des dizaines de milliers de témoins potentiels. Il y eut des photos prises en direct d’hommes ensanglantés, de corps inanimés allongés sur les grands boulevards. Et dans les mois qui suivirent, quelques témoignages, quelques analyses circulèrent entre les mailles de la censure, très virulente à l’époque. Mais ni grands débats politiques, ni vagues d’indignation populaires. Pas de bronca non plus dans les médias quand la Préfecture de Police de Paris annonça officiellement le chiffre de deux morts parmi les manifestants, accompagné de ce commentaire oral : Pas de quoi en faire un drame. Les Français, dans leur très grande majorité, attendaient avec impatience la fin de la guerre, le drame du 17 octobre, en pleine négociations de paix, leur semblait fâcheux et incompréhensible. Ils l’oublièrent. Riceputi raconte dans ce livre le long combat (une quinzaine d’années, de 1986 aux années 2000) d’un homme, Jean-Luc Einaudi, pour briser l’oubli et faire entrer cette date dans notre Histoire.

Einaudi est d’abord un homme seul. Éducateur au service de la Justice des mineurs, historien autodidacte, il est largement méprisé par le lobby des historiens professionnels, qui le traitent d’amateur incompétent. Son intérêt pour le 17 octobre 1961, sa certitude de toucher là à un moment important dans l’histoire de la France républicaine en pleine période de coup d’état militaire et de flambée de l’OAS lui viennent de ses années de militantisme dans l’extrême gauche des années 68. Pas de quoi s’attirer la sympathie des gouvernements successifs du pays, ni des diverses institutions concernées. Ni historien ni chercheur, il n’aura pas d’autorisations pour consulter les archives policières et judiciaires. Le petit éducateur devra affronter en face à face le préfet Papon, un poids lourd de l’administration française, depuis Vichy et jusqu’aux années quatre-vingts, avec tous les réseaux d’influence que cela suppose. Avant la fin des années quatre-vingt-dix, il n’a pas non plus suscité l’intérêt des médias. A force d’inventivité (un bon historien « invente » ses archives), de travail, d’obstination, il est parvenu à établir une histoire du 17 octobre 1961 qui fait aujourd’hui autorité auprès des historiens étrangers et que même les Français, à partir des années 2000, intègrent petit à petit, avec prudence, dans l’Histoire de la France. Le bilan des morts de la répression du 17 octobre que l’on évoque aujourd’hui est de 200 à 300 morts.

Riceputi raconte ce parcours d’Einaudi comme un roman noir, avec une écriture rapide et tendue. Il commence son récit par le premier face à face Papon – Einaudi, en 1997, au cours du procès intenté par les familles de déportés juifs de Bordeaux à Papon qui était alors le préfet, très actif dans la déportation des juifs. Et les familles prennent l’initiative de solliciter le témoignage d’Einaudi sur le rôle de Papon dans la répression du 17 octobre 1961. Les victimes juives tendent la main aux victimes algériennes, moment émouvant et fort, qui médiatise pour la première fois le travail d’Einaudi. Le récit de Riceputi  replonge ensuite dans le passé et se déroule jusqu’à la victoire d’Einaudi,  à travers de multiples croisements, rebondissements, que le lecteur découvrira avec un vrai plaisir de lecture.

Après ce récit factuel, Riceputi formule quelques questions, qui touchent à notre actualité la plus brûlante. Qu’est-ce que l’Histoire ? Une science exacte, sur le modèle des mathématiques, développée par des chercheurs sans affect ni engagement, comme l’affirment nos ministres ? Ou une interrogation du passé par des hommes enracinés dans leur présent, une reconstruction permanente ? Qui sont les historiens ? Dans leur grande majorité, des enseignants chercheurs fonctionnaires ou aspirant à l’être, logiquement soucieux de leur carrière, de l’extension de leur zone de pouvoir, à la recherche de ressources financières et de réseaux pour la faire vivre, ce qui a des conséquences sur la façon dont ils orientent leurs recherches. Objectifs les historiens qui s’empressent de valider le chiffre de deux morts annoncé par la Préfecture de Police peu après les évènements ? A partir des seules archives de la Préfecture de Police, et sans même prendre la peine de signaler les dossiers manquants ? Sont-ils moins « engagés » qu’Einaudi ? Non, bien sûr. Mais ce qui distingue Einaudi, c’est le sérieux et l’ampleur du travail qu’il réalise ensuite, pour établir les faits. Il cherche les sources les plus diverses, y compris les archives de la Fédération de France du FLN ou les registres d’entrée des cimetières, il recueille des témoignages multiples, les confronte. Certains témoins lui sont présentés par Didier Daeninckx qui fut le premier, dans son roman Meurtres pour mémoire (1983), à « faire entendre » de façon assez large la tragédie du 17 octobre. Souvent les romanciers sont les premiers à briser les silences, avant les historiens.

La bataille d’Einaudi pose aussi la question de l’accès aux archives. Un droit ? Et qui en  contrôle l’usage ? Deux archivistes ont témoigné au procès que Papon a intenté à Einaudi pour diffamation. Ils ont confirmé que le contenu des archives qu’ils avaient classées et dont la communication avait été refusée à Einaudi confirmait ses recherches. Ils ont été lourdement sanctionnés par leur hiérarchie. Conserver le contrôle des archives est un enjeu directement politique. C’est bien ce qu’a compris Macron qui, au moment où il déclenche la chasse aux chercheurs « décoloniaux », « islamo gauchistes », « séparatistes », repousse les délais de consultation de certains dossiers de cinquante à cent ans, et soumet toute une série d’autres à la décision arbitraire des services émetteurs.

L’histoire de la colonisation et de la décolonisation est importante, pas pour une repentance quelconque, mais pour comprendre d’où vient notre constitution, la violence de notre police, la nouvelle version de notre racisme, les fractures de notre société. Des questions importantes. La conclusion de Riceputi est optimiste : la vigueur de la réaction actuelle est proportionnelle aux avancées de la réflexion et de l’audience  des travaux sur la décolonisation, dont la bataille d’Einaudi fut une date marquante.

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Ici on noya les Algériens. La bataille de Jean Luc Einaudi pour la reconnaissance du massacre policier et raciste du 17 octobre 1961
Editions Le Passager Clandestin

 

 

 

 

Souvenir, souvenir

Souvenir, souvenir

Souvenir, souvenir

J’ai retrouvé un article, intitulé Roman noir, que j’avais écrit il y a longtemps et qui a été publié en 2007 par Le Mouvement social, excellente revue d’histoire, dans un numéro d’hommages à Madeleine Rébérioux avec laquelle j’avais travaillé à l’université de Vincennes puis à Paris 8.
J’y aborde, comme son titre l’indique, les spécificités du roman noir dans l’ensemble du genre “policier”.

Pour le télécharger cliquez ici

 

L’actuel déferlement de haine contre l’UNEF me terrorise

L’actuel déferlement de haine contre l’UNEF me terrorise

L’actuel déferlement de haine contre l’UNEF me terrorise

J’ai signé, dans Le Monde daté du 26 mars 2021, une tribune sur les attaques insensées dont fait l’objet l’UNEF au sujet de l’organisation en son sein de réunions non-mixtes.
Cette tribune est signée de mon nom, Marie Noëlle Thibault, qui est celui que j’utilisais lorsque je militais à l’UNEF, puis à la CFDT.
Il est possible de lire cette tribune sur le journal et sur le site du Monde. Je la publie ci-dessous.

 

Le Monde -26 mars 2021

« Je ne peux m’empêcher de voir dans l’actuel déferlement de haine contre l’UNEF un vertigineux retour en arrière »

Marie-Noëlle Thibault, ancienne militante à la CFDT, évoque, dans une tribune au « Monde », ses souvenirs de réunions « non mixtes », qui suscitaient déjà, dans les années 1970, les critiques des syndicalistes, ces derniers accusant les femmes de briser l’unité de la classe ouvrière.

L’actuel déferlement de haine contre l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), parce que ce syndicat organise en son sein des réunions non mixtes, me terrorise. Séparatisme, racisme, fascisme, je ne peux m’empêcher d’y voir un vertigineux retour soixante ans en arrière. Pour me faire comprendre, je vais raconter très simplement quelques-unes de mes expériences de ces années-là.

Dans les années 1970-1980, le Mouvement de libération des femmes (MLF), organisation non mixte, est apparu dans la foulée de Mai 68, et a secoué fortement toutes les structures des partis politiques, extrême gauche comprise, très machiste, dans la tradition française – la politique est une affaire d’hommes. La lutte pour la contraception et le droit à l’avortement, déjà présente avant 1968, a pris, sous l’impulsion du MLF, une importance considérable dans toute la France, avec des pratiques « révolutionnaires », revendications publiques et pratiques médicales de l’avortement, en toute illégalité.

J’étais alors à la CFDT, fortement secouée par la lutte des femmes. Jeannette Laot, secrétaire générale adjointe de l’organisation, est devenue présidente du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC), et le bureau national en a pris acte. Pas mal pour une organisation fortement marquée par la culture chrétienne.

Notre combat principal a été de créer des lieux où la parole des femmes travailleuses pourrait s’exprimer librement. Nous avons mis en place une commission « travailleuses » au niveau confédéral et des sessions de formation et d’échange non mixtes. Cela n’a pas été facile. Nous étions accusées de briser l’unité de la classe ouvrière, sans doute censée être incarnée dans l’organisation syndicale. C’était la version 1970 de l’actuelle accusation de séparatisme. Nous nous sommes battues et, parce que le MLF existait alors, nous avons gagné.

Nous « ramener à la raison »

Notre première session de formation non mixte me laisse un souvenir tragique et indélébile. Nous étions une trentaine de femmes. Trois d’entre elles avaient été envoyées par leurs structures hostiles à la « non-mixité » pour nous « ramener à la raison ».

Les travailleuses ont commencé à raconter leurs conditions de travail comme elles ne l’avaient encore jamais fait. Je raconte une seule expérience, celle des ouvrières d’une usine textile dans le Nord, à proximité d’un bassin minier. Elles étaient majoritairement des filles de mineurs. Dans l’entreprise, on les appelait les « culs noirs », parce que la mine et les mineurs sont sales et que, disaient les contremaîtres, les filles de mineurs ne portent pas de culotte. Quand une nouvelle ouvrière arrivait de la région minière, les contremaîtres jouaient à celui qui arriverait le premier à lever sa jupe pour vérifier si elle portait une culotte. En avaient-elles déjà parlé au syndicat ? Non, jamais. Pourquoi ? Parce qu’au syndicat ce sont des hommes, on n’oserait pas, ils ne comprendraient pas. Et puis les contremaîtres sont syndiqués.

Des anecdotes comme celle-là, il y en a eu des dizaines en quelques jours. La parole libérée, pour la première fois, entre femmes. Et puis, le quatrième jour, une des trois « envoyées spéciales contre la nonmixité » a pris la parole, elle a fondu en larmes et a raconté les gestes et les paroles sexistes des responsables syndicaux eux-mêmes, très majoritairement hommes dans cette branche où domine la main-d’œuvre féminine. Les mœurs dominantes dans la profession se retrouvaient à l’identique dans la structure syndicale. Nous étions toutes bouleversées de vivre ce moment, et j’y repense souvent.

Ces groupes de parole avaient-ils vocation à dorloter des victimes, à les conforter dans leur « victimisation » ? Absolument pas. Leur seul rôle était de permettre un passage à l’action ajusté à la réalité des rapports sociaux vécus. Quand le MLF (non mixte) a perdu en intensité, les commissions féminines syndicales ont décliné, le syndicalisme y a beaucoup perdu.

Alors, ne pas diviser la classe ouvrière ? Oui, mais comment ? En faisant taire ces femmes ? L’universalisme oui, mais lequel ? Celui qui consiste à faire taire les plus exploités, les plus écrasés, ou celui que l’on construit lentement, difficilement, à travers la confrontation des expériences pour trouver des avancées communes ?

Pas pareille la situation des travailleurs immigrés ? Mais si, bien sûr. J’ai écrit un roman sur une vague d’assassinats de travailleurs immigrés à Marseille et en France en 1973. Face à cette vague, qu’ont fait les syndicats ? Rien. Les morts n’étaient sans doute pas syndiqués. Le Mouvement des travailleurs arabes (MTA), créé cette année-là, a alors organisé une grève très suivie à La Ciotat, puis sur tout le département des Bouches-du-Rhône. La vague d’assassinats est retombée.

Dangereux sectaires

Mais les syndicats n’ont pas cherché le dialogue avec le MTA, on ne discute pas avec ceux qui menacent l’unité de la classe ouvrière. Une unité assez restreinte autour d’un noyau de travailleurs français (de nos jours, on dirait « blancs ») masculins…

Une flopée d’hommes politiques et de membres du gouvernement réclament à grands cris la dissolution de l’UNEF parce qu’elle organise, en son sein, des réunions ponctuelles non mixtes de femmes « non blanches ». Et alors ? Ils sont sans doute convaincus que ces femmes parleraient en toute tranquillité de leur sexualité (avec de multiples annexes, excisions, rapports familiaux, machisme, etc.) et des conséquences dans leur vie universitaire, comme de leurs problèmes éventuels de sexisme de la part de leurs enseignants blancs, mais M. Blanquer, qui sait tout, nous affirme que la couleur de la peau ne joue aucun rôle là-dedans.

Et nos hommes politiques préfèrent faire de multiples lois, contre la reconstitution de virginité par exemple, qui les affichent comme de grands défenseurs de la cause féminine, plutôt que de laisser la parole à celles qui s’estiment concernées et ont envie d’en parler.

Nos farouches défenseurs de l’universalisme naviguent dans l’air éthéré de l’abstraction et sont de dangereux sectaires. Revenez sur terre, avant de tout casser.

Le débat sur la police est ouvert. Profitons-en

Le débat sur la police est ouvert. Profitons-en

Le débat sur la police est ouvert. Profitons-en

Au cours de l’actuel débat sur la loi de « sécurité globale » je note une légère inflexion dans le vocabulaire employé par nos dirigeants politiques. Après avoir purement et simplement refusé le terme de violences policières et avoir parlé, dans le pire des cas, d’actes isolés de « brebis galeuses », des infiltrés en quelque sorte qui n’ont rien à faire dans le troupeau, ils parlent maintenant « d’actes d’une infime minorité ». On est passé des individus isolés aux petits groupes.

Il faudra qu’ils aillent beaucoup plus loin dans l’analyse du phénomène. J’ai longuement enseigné dans le 93, et je sais d’expérience que les violences policières y ont une longue histoire. J’ai écrit en 2010 un roman Bien connu des services de police, inspiré d’une bavure policière des années 2002–2003 dans laquelle j’avais tenté, avec d’autres militants de porter assistance à des victimes, accusées de violences contre les forces de l’ordre. Échec. Je feuillète ce roman aujourd’hui, et j’y retrouve déjà (presque) toutes les composantes de la « bavure » classique. Au départ, contrôle d’identité de « non blancs » (terme utilisé faute de mieux) inutile, violences gratuites et plus ou moins jouissives, incompétence brouillonne à trois sur un seul « suspect », formation lacunaire, élaboration collective de faux rapports, puis de faux témoignages en justice. Et ce dont les syndicats de police ne nous parlent guère, profond malaise d’un policier pris dans cette mécanique collective sans l’avoir vraiment voulu qui le conduit jusqu’au suicide. Cette histoire n’est pas un cas unique, c’est plutôt une sorte de schéma reproduit un grand nombre de fois dans ce département du 93, dans une indifférence quasi générale de la société dans son ensemble.

Autre « bavure » à laquelle je me suis intéressée de près, « l’affaire Théo », ce jeune homme noir contrôlé en 2017 par une BST (brigade spécialisée de terrain) à Aulnay-sous-Bois, dans le 93. Contrôle de routine, à la fin duquel Théo est transporté à l’hôpital avec une perforation de l’anus et de l’intestin sur dix centimètres de profondeur, et quelques autres « contusions ». Opéré en urgence, il s’en sort avec une invalidité à vie. La Défenseuse des Droits a rendu la semaine dernière son rapport, après trois ans d’enquête. Elle relève de multiples irrégularités commises par les policiers de la BST. Présence dans leur véhicule d’armes dites « intermédiaires » (LBD, grenades lacrymogènes et de désenclavement) totalement inappropriées, et pour lesquelles ils n’ont pas d’habilitation. Utilisation abusive d’une grenade contre un témoin isolé des faits. Matraquage ultra violent d’un jeune homme isolé, maniement dangereux d’une matraque télescopique (une matraque violeuse…). Un mélange d’incompétence professionnelle et de violence brouillonne de jeunes mâles surexcités. Elle note ensuite que les trois agents n’ont pas fait de rapport sur leur utilisation des « armes intermédiaires », ce qui, en principe est obligatoire. Réponse des intéressés : « Ces armes sont d’un usage courant dans le 93. S’il fallait faire des rapports à chaque fois… ». Réponse dont il convient de souligner la sincérité. Et la petite brigade a produit un faux rapport sur le déroulement du contrôle de Théo.

Prenons maintenant le tabassage de Michel, le producteur de musique, samedi  21 novembre 2020. Même type de brigade (les BST s’appellent maintenant BTC, Brigade territoriale de contact. Sens de l’humour ?), même violence, même matraque télescopique, même grenade lacrymogène, même incompétence brouillonne, même victime non blanche, et même faux témoignage. Mêmes schémas d’interventions bien rôdés dans les deux cas, qui ont retenu l’attention, l’un à cause du caractère et de la gravité de la blessure, l’autre grâce aux images d’une caméra de surveillance. Il en existe bien d’autres, dont le déroulement est identique, et qui, en l’absence d’images, et parce que la parole des policiers, fonctionnaires assermentés, pèse lourd, se terminent par l’inculpation des victimes pour outrage et rébellion.

Il faut donc réfléchir aux causes qui, dans le fonctionnement de l’institution, produisent de tels faits à répétition.

Pour moi, comme pour beaucoup d’observateurs, la première cause est la garantie d’impunité. La hiérarchie, l’IGPN couvrent systématiquement. Dans « l’affaire Théo », il y aura un procès en assises compte tenu de l’existence d’une invalidité permanente chez la victime. Le crime de viol n’a pour l’instant pas été retenu. Nous verrons si le rapport de la Défenseuse des droits sera pris en compte par la justice. Jusqu’à maintenant, les recommandations du Défenseur des droits n’ont jamais été prises en compte, ni par l’institution policière ni par la justice. Mais il y a déjà eu, tout de suite après les faits, en 2017, une enquête administrative demandée par la hiérarchie à l’IGPN, qui a conclu en deux jours que tout allait bien, et la hiérarchie a donné à l’équipe de policiers un avertissement, la plus faible des sanctions administratives qui n’entraine aucune conséquence professionnelle.

Allons plus loin. La Défenseuse des Droits dans son rapport sur l’affaire Théo met en cause le commissaire de police du commissariat d’Aulnay pour n’avoir pris aucune précaution pour empêcher les trois policiers impliqués de se concerter pour fabriquer leur faux rapport. On peut s’interroger aussi sur la façon dont il encadrait ses équipes sur le terrain, contrôle des armements, absence de rapports etc…  Or ce commissaire n’est pas un inconnu. En 2004, à peine sorti de l’école nationale des commissaires, il est nommé dans le 19° arrondissement de Paris, responsable des BAC. Une nuit, il accompagne une de ses brigades sur le terrain (il aime ça), et assiste sans tenter d’arrêter la mécanique, à une arrestation d’un automobiliste en infraction au code de la route, qui de fil en aiguille, si je puis dire, se retrouve avec le cul nu et un enjoliveur entre les fesses (je n’invente rien). L’automobiliste portera plainte ensuite. L’affaire passe en justice en 2008. Le commissaire couvre ses hommes, et se retrouve condamné à un an de prison avec sursis, et une interdiction d’exercer son métier pendant un an, pour « abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit en train de se commettre ». Son interdiction d’exercer est mise en œuvre, avec des aménagements financiers qui lui assurent son salaire. Puis il est réintégré, et dans la foulée il est promu commissaire divisionnaire à 38 ans, ce qui est une très belle promotion. Bien plus, peu après, il devient le patron du commissariat d’Aulnay-sous-Bois, dans le 93. La hiérarchie et les syndicats, qui cogèrent les promotions-mutations, estiment donc qu’il a le profil idéal (apprécié des policiers de base, capable de les couvrir face à la justice, peu regardant sur la déontologie) pour exercer dans une banlieue difficile où il convient d’appliquer des méthodes de force. Et ce n’est pas fini. Après Aulnay et l’affaire Théo, ce commissaire se retrouve au commissariat d’Asnières. Toujours « meneur d’homme », il accompagne une de ses brigades de nuit dans une ronde sur les bords de Seine en avril 2020, quand celle-ci course un immigré, qui tombe à l’eau. Les policiers se paient une tranche de franche rigolade. « Les bicots ne savent pas nager… un bicot, ça coule… lui mettre des pierres au pied, pour voir… » avant de le repêcher, l’arrêter, et peut être de le tabasser dans le car (bruits suspects). Que nous dit l’histoire de ce commissaire ? Sa promotion, ses affectations successives, cogérées par la hiérarchie et les syndicats de police, signifient un choix conscient, délibéré d’une police de force menée par des hommes à poigne, dont on sait qu’elle entraine des bavures à répétition. Il est donc nécessaire d’assurer l’impunité, pour préserver la cohésion de l’institution.

Les syndicats de police répètent en boucle que la police est le corps de fonctionnaires le plus contrôlé par leur instance interne de contrôle, l’IGPN. C’est un argument de façade, auquel eux-mêmes ne croient pas. Il est vrai que l’IGPN ne laisse pas passer et sanctionne les délits « ordinaires », du type vols, violences conjugales, ou autres délits de droit commun. Mais elle n’a pas un rôle de sanction mais de protection des policiers dans leurs rapports avec la population dans l’exercice de leur profession, elle les couvre et ils le savent. C’est un élément central dans le fonctionnement actuel de la police. D’où son hostilité à toute participation extérieure au corps dans l’IGPN.

Résultat d’une politique qui définit la liberté par l’autorité et la sécurité, la police est pourrie de l’intérieur, elle traverse une crise profonde dont aucun gadget technologique (drones, caméras…) ne pourra la guérir. Il faut débattre de sa fonction, de ses rapports au pouvoir et aux citoyens dans une société démocratique. Le débat commence à s’ouvrir, grâce aux images. Et aussi parce que la dernière bavure a lieu dans les beaux quartiers parisiens, et frappe un producteur de musique, pas un employé de McDo. Il faut s’engouffrer dedans, il est plus que temps.

 

Raconter, c’est résister

Raconter, c’est résister

Raconter, c’est résister

 

Le Festival international du roman noir (FIRN) de Frontignan n’aura pas lieu cette année. Ni à la date traditionnelle (juin) ni en septembre, comme il avait été un temps envisagé. Dommage ! Frontignan est un lieu de vraies rencontres, de vraies discussions.
Mais tout n’est pas perdu. Les animateurs du festival ont demandé aux auteurs invités de leur communiquer de courtes interventions sur le thème retenu cette année : “Résistance(s) // Résilience”.
L’occasion pour moi de publier ce texte de 2015, que j’avais écrit pour la Revue critique de fixxion française contemporaine, et que je n’avais pas publiée sur ce site.
Le voici

Carte Blanche

Raconter, c’est résister

 

1

Souvent, dans des discussions, des tables rondes, ou des critiques, je suis qualifiée de “romancière engagée”, et je suis surprise, à chaque fois. Engagement, pour moi le mot est fort, un mot à respecter, j’entends lui garder tout son contenu et toute sa couleur. S’engager, pour moi, c’est entrer avec d’autres dans un combat collectif, pour des objectifs communs. C’est choisir les contraintes et les bonheurs de l’action collective, parce que l’on croit à sa nécessité et son efficacité pour changer le monde. Pendant vingt ans de ma vie, j’ai vécu cet engagement.

2

J’étais adolescente pendant les premières années de la présidence du général de Gaulle, et les dernières années de la guerre d’Algérie. Je lisais beaucoup de romans. Mais je faisais plus confiance à l’Histoire pour essayer de comprendre comment on en était arrivé là, à l’oppression coloniale, aux massacres, à la torture, au coup d’Etat. Et je pressentais déjà que dans ces domaines, rien n’était simple. Le jour de mon entrée en fac, j’ai adhéré à l’Unef, le syndicat étudiant de l’époque, qui avait pris parti de façon ouverte pour l’indépendance de l’Algérie, ce que ne faisait aucun des grands partis politiques français, et qui menait sur ce mot d’ordre une lutte de masse. Puis j’ai adhéré, une année plus tard, à l’Union des Etudiants Communistes, qui était à la fois marxiste et en bagarre ouverte contre le PCF et l’orthodoxie soviétique. J’ai vécu cinq années extraordinaires, cinq années de batailles contre la guerre, contre l’Algérie Française et l’OAS, contre un parti communiste ossifié, pour la démocratisation des universités. Je n’ai guère mis les pieds dans les amphis de la Sorbonne, mais nous lisions fébrilement tous les grands textes marxistes, de Marx à Rosa Luxembourg en passant par Gramsci, les Italiens, les conseillistes. Ces textes n’étaient pas abstraits pour nous, nous y cherchions avidement des moyens de mieux comprendre notre monde et nos adversaires, pour agir de façon plus efficace. Les débats étaient perpétuels, passionnés, et nous y engagions notre vie, au quotidien. Chaque mot prononcé ou écrit avait un sens, il était destiné à devenir action. En même temps, nous avions le sentiment exaltant d’être dans l’Histoire en train de se faire. Les grandes luttes armées de libération nationale, les hommes d’action et les théoriciens qu’elles produisaient et que nous côtoyions avec respect semblaient nous ouvrir la porte d’un monde nouveau. Nous croyions à la puissance de l’analyse, de la raison et nous travaillions inlassablement à ajuster nos arguments et nos moyens d’action.

Je n’écrivais pas de romans.

3

Puis il y eut Mai 68, un peu comme si brusquement les perspectives de changement social n’étaient plus seulement cantonnées dans le Tiers Monde, mais s’ouvraient pour nous aussi. J’ai pris très au sérieux tout ce que nous avions dit pendant la décennie des années 60. Refus des avant-gardes, luttes sociales de masses, importance des luttes ouvrières. Pendant ces années-là, j’étais engagée dans le syndicalisme, et à ce titre, j’ai participé à de nombreuses luttes ouvrières.

Je n’écrivais toujours pas de romans. Je n’en avais ni le temps ni l’envie.

4

Puis vint la prise de conscience longue et douloureuse des années 80 : le monde avait changé, sans moi, contre moi. Le moment historique était passé, je ne me reconnaissais plus dans aucune des organisations syndicales ou politiques de cette période, il était temps pour moi de faire le bilan de ces vingt années. J’ai cessé d’être engagée. J’ai redécouvert le pouvoir de la littérature, j’ai commencé à écrire des romans. Sans rien renier de ce passé.

5

Je suis parfaitement consciente de tout ce que mon travail de romancière doit à ces années d’engagement. J’ai gardé le même rapport aux mots, à la langue écrite ou parlée. Je les veux outils de communication, clairs et percutants. Et si j’ai perdu l’espoir d’agir, j’écris encore pour comprendre. Comprendre un événement, ou une séquence d’évènements. Comment la gauche française s’est-elle convertie au culte de l’argent ? Que s’est-il passé dans cette usine lorraine en feu ? Quelle est la raison de ce silence pesant sur les années de collaboration entre 1940 et 1944 ? Alors, je construis des histoires romanesques qui sont des machines cohérentes et articulées, comme mes raisonnements militants d’autrefois. Avec un plan rigoureux et organisé. Je me souviens de mon étonnement lorsqu’une de mes amies romancières me raconta qu’elle commençait à écrire un roman lorsqu’une phrase jaillissait un jour toute faite dans son esprit qui lui semblait sonner bien, puis elle avançait ensuite par associations d’idées et de sons, vers un dénouement qui la surprenait toujours. Je ne comprenais pas comment une telle démarche était possible. Pas d’erreur, je ne suis pas une littéraire.

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Dans un autre domaine de l’écriture, la mise en vie des personnages, je dois beaucoup à un journal assez unique en son genre qui s’appelait Les Cahiers de Mai entre 1969 et 1974. Nous voulions rendre compte des luttes sociales en train de se faire, de la façon la plus proche des acteurs eux-mêmes, faire circuler l’information et les échanges d’expériences entre les groupes ouvriers, horizontalement, sans passer par les filtres des directions syndicales, pour alimenter le débat et la réflexion à la base. Nous avons élaboré petit à petit nos méthodes de travail et d’intervention, en utilisant entre autres les textes théoriques des Italiens sur l’enquête ouvrière. Nous allions dans les entreprises à chaud, pendant les luttes, moments où la parole se libère plus facilement, nous réunissions des travailleurs de tous bords, et les faisions parler de leurs luttes en cours, en les poussant le plus loin possible par nos questions. Les premières phrases que prononçaient les travailleurs étaient souvent extrêmement convenues, elles exprimaient une sorte d’opinion moyenne, de “langue de bois des luttes”. Il fallait briser cette carapace, refuser le “prêt-à-penser”, faire ressortir les frustrations, les aspirations profondes, les rêves esquissés. Ce n’était pas facile, c’était même parfois violent. Puis nous rédigions un compte rendu de l’entretien collectif, et revenions, avant toute publication, le faire valider par nos interlocuteurs en groupe. Cette validation était une étape fascinante du processus. Parce qu’ils se reconnaissaient avec émotion dans le texte, et disaient souvent avec un demi-sourire qu’ils se trouvaient “plus intelligents qu’ils ne le pensaient”. Miracle du collectif.

Les Cahiers de Mai ont beaucoup circulé pendant cinq ans, et je crois qu’ils ont été utiles pendant un temps, celui des luttes sociales intenses de la fin des années 60 et du début des années 70.

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Cette expérience m’a appris à écouter. Ce qui n’est pas si facile. Cela implique beaucoup de respect, la conviction que chacun a quelque chose à dire, chacun a une histoire. Beaucoup d’attention aussi, aux inflexions de la voix, aux regards, aux mimiques, aux gestes, les corps parlent eux aussi. Et puis savoir écouter, c’est aussi ne pas être dupe. Ne pas prendre toute parole pour argent comptant. Il faut savoir forcer le passage, faire surgir une parole vivante. Quand on sait écouter, on sait écrire. En tout cas, je le crois. Une grande part du travail d’écriture me semble être dans cette attention à l’autre. Et aujourd’hui je m’inspire de mon expérience de ces années-là. Je traite mes personnages comme je traitais mes interlocuteurs dans les années 70. Avec respect, mais sans faiblesse. Tous des êtres humains, mes frères. Mais qu’ils aillent au bout, qu’ils crachent ce qu’ils ont dans les tripes. Avec empathie mais sans jamais m’apitoyer. La liberté de l’écrivain dans la création de ses personnages est la garantie de la liberté du lecteur. L’auteur ne le prend pas par la main pour lui montrer qui il doit aimer et soutenir, qui il doit haïr et exorciser. Chaque lecteur fait ses choix et réécrit le livre, en toute liberté. Difficilement compatible avec la notion d’engagement appliquée mécaniquement à la littérature.

En écrivant ces quelques lignes, je me suis soudain rappelé que le créateur des Cahiers de Mai, Daniel Anselme, était un romancier. J’avais occulté cette évidence.

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Et puis j’ai aussi été une historienne et une enseignante, la formation acquise à la lecture de Marx et de ses amis ayant très largement suffi pour me faire passer examens et concours universitaires, et c’est un métier que j’ai aimé. J’ai appris des historiens à manier la documentation. J’ai d’abord appris les vertus de la distance et de la hiérarchisation pour ne pas me noyer quand je plonge avec jubilation au milieu d’un fouillis de documents, sans savoir ce que je vais trouver, toute à la surprise des rencontres et des découvertes. Quand j’aborde un nouveau roman, avant d’écrire une ligne, je commence toujours par un travail de documentation, avec les mêmes techniques que les historiens, mais pas avec les mêmes objectifs. Je cherche à sélectionner quelques faits avérés, bien établis, et que j’estime significatifs de l’époque et du milieu que j’ai choisis de raconter. Ils seront les garants de la vraisemblance de mon roman. Leur sélection ne relève pas d’une démarche d’historienne, mais de romancière. Je ne la justifie que par mon intuition et mon envie. Si mes choix de départ sont pertinents, je peux ensuite laisser libre cours, sans contraintes, à mon imagination. Et petit à petit, je vois s’esquisser des silhouettes, j’entends s’échanger des bribes de dialogues. A ce moment-là, je sais que je suis assez imprégnée de mon sujet pour commencer à écrire.

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Et je me lance. Je raconte la société dans laquelle je vis, telle que je la comprends. Parce que, comme dit Sepulveda, “raconter, c’est résister”. Dans une grande solitude.

Dominique Manotti

16 balles. Nos cousins d’Amérique

16 balles. Nos cousins d’Amérique

16 balles. Nos cousins d’Amérique

La chaine Planète+ CI (Crimes et Investigations) vient de présenter mardi 7 juillet un documentaire remarquable, une enquête sur le meurtre d’un jeune adolescent noir de 17 ans par un policier blanc qui lui a tiré 16 balles dans le corps, le 20 octobre 2014 à Chicago. Le réalisateur (Rick Rowley) suit l’affaire jusqu’au procès, en septembre 2018. Et nous donne un documentaire époustouflant d’intensité, de rythme, de qualité de l’image et de l’archive. Du début à la fin du film, nous sommes tendus, accrochés, comme dans les meilleures fictions. Chapeau l’artiste. Au-delà d’une piqûre de rappel, toujours utile, sur l’intensité du racisme aux États Unis, ce documentaire m’a fait toucher du doigt, comprendre physiquement, à quel point l’ampleur de la mobilisation qui a suivi l’assassinat de George Floyd n’est pas tombée du ciel, mais est le prolongement et le résultat de dizaines de luttes acharnées après des meurtres de jeunes noirs un peu partout dans le pays.
Déroulé de l’histoire.
Le 20 octobre 2014, le jeune Laquan McDonald, 17 ans, erre dans un parking proche d’un grand magasin, un couteau à la main. Plusieurs voitures de police arrivent. De l’une d’elle, deux policiers descendent, et l’un d’eux, Jason Van Dyck, abat de 16 balles le jeune Laquan qui marche à six ou sept mètres de lui, en lui tournant le dos. A partir de là, la machine policière se met en route. L’ensemble des policiers présents sur le terrain, tout en bouclant la scène de crime, se concertent, et mettent au point un témoignage commun. Adolescent menaçant, couteau en main, Van Dyck a tiré en légitime défense. Ils prennent la précaution de vérifier le contenu d’une caméra de surveillance à la porte d’un magasin à proximité du lieu de la fusillade, et détruisent l’enregistrement de la scène. Il existe également une caméra de vidéo, fixée sur le tableau de bord d’une des voitures de police, qui a tout enregistré. Cet enregistrement n’est pas détruit, sans doute parce que ce n’est matériellement pas possible. Puis l’équipe rentre au commissariat, rend compte à sa hiérarchie des tirs, de la mort du jeune homme et lui remet l’enregistrement de la scène par la caméra du véhicule de police. La hiérarchie enregistre les témoignages, tous identiques, visionne sans doute l’enregistrement et le dépose sous séquestre. La Fraternité des policiers est alertée. Hiérarchie et Fraternité soutiennent sans faille la version de l’équipe de terrain. Dans deux maisons à proximité du parking, il y a des témoins de la fusillade. Ils sont convoqués au commissariat, entendus séparément, pendant une dizaine d’heures d’affilé, et menacés de poursuites. Ils finissent par décider de se taire. Ils n’ont rien vu. L’affaire semble bouclée, et dans les premières communications à la presse, Laquan est présenté comme un jeune délinquant, agressif, et drogué.
A ce niveau, moi, je m’arrête et je fais quelques constats. La société américaine est différente de la société française, beaucoup plus violente. L’organisation de la police et de la justice sont également différentes de l’organisation française, et nos syndicats de policiers ne sont pas des Fraternités. Mais les réactions de la police américaine et de la police française face à une bavure sont étonnamment semblables. Harmonisation de faux témoignages entre équipiers. Transformation de la victime en fauteur de troubles dangereux. Caméras malencontreusement tombées en panne ou non déclenchées chaque fois que c’est possible. Couverture syndicale et hiérarchique en béton, envers et contre tout. (N’oublions pas que dans ce cas précis, la hiérarchie et la Fraternité ont eu accès à la vidéo dès le début de l’affaire et l’ont placée sous séquestre). Témoins mis de côté d’une façon ou d’une autre. Le monde policier, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre, est un monde de la solidarité et de l’omerta.
L’histoire aurait pu s’arrêter là, elle aurait dû s’arrêter là, elle s’est souvent arrêtée là. Elle ne s’arrête pas là. Un journaliste repère quelques trous dans l’histoire officielle. Et puis 16 balles pour abattre un petit jeune, c’est beaucoup. L’autopsie révèle des balles dans le dos et un peu partout dans le corps, y compris lorsque la victime gisait au sol. Un avocat s’intéresse au dossier. La mobilisation commence dans la communauté noire. Cette bavure mortelle n’est pas la première à Chicago, la série en est longue, mais grâce aux mobilisations répétées de « Black Lives Matter », la population est de moins en moins passive face à la violence policière. L’avocat, après de multiples démarches judiciaires, obtient communication de la vidéo que la hiérarchie avait mise sous séquestre, et la rend publique, fin 2015. Toute la ville de Chicago voit en direct un petit jeune homme, un couteau au bout d’un bras ballant, qui marche seul sur un parking, en s’éloignant d’un policier qui se tient à six ou sept mètres de lui, qui l’abat et continue à tirer sur le jeune à terre. 16 balles. A partir de ce moment, des manifestations de masse comme Chicago n’en avait jamais connu se succèdent pendant deux ans, et scandent à tous les moments importants l’affrontement entre la version policière, et les défenseurs de la victime. C’est un ouragan qui déferle sur Chicago, et je ne « divulgache » pas la fin, comme pour les meilleurs polars, mais vous verrez, tension maximum, de rebondissements en rebondissements, jusqu’à la chute, en 2018- 2019.
La mobilisation gigantesque après la mort de George Floyd n’est pas loin.
En France, les mobilisations populaires contre les violences policières commencent à mobiliser de façon bien plus forte que le gouvernement ne s’y attendait. La suite de l’histoire n’est pas encore écrite.

Du bon usage de la “brebis galeuse”

Du bon usage de la “brebis galeuse”

Du bon usage de la “brebis galeuse”

Le terme de « brebis galeuse » revient de toutes parts dans le débat actuel sur les violences policières. Le terme est utile. Il montre d’abord au public que l’institution prend les choses au sérieux, qu’elle est prête à admettre d’éventuels disfonctionnements, et à réagir vigoureusement. Qui souhaite garder en son sein des brebis galeuses ? Ensuite, une brebis galeuse est une mauvaise bête dans un troupeau sain. Il n’y a pas de disfonctionnement de l’institution, mais des fautes individuelles, commises de préférence par ceux qui sont à la manœuvre sur le terrain, ceux qui asphyxie ou étranglent, les flics de base, pas les chefs. Le commandement est rarement mis en cause. Pour sortir des généralités abstraites, j’ai eu envie de prendre un cas précis de « brebis galeuse » pour voir comment il évolue dans le temps, et ce qu’il nous dit du fonctionnement de l’institution. Faire vivre un personnage, penser concret, démarche de romancière, j’assume.

Je prends le commissaire Lafon, parce que j’ai déjà relevé sa trace dans le passé. En l’an 2000, il sort à 26 ans de l’École des commissaires, choisit la Police urbaine de proximité, celle des Brigades qui, sous des noms divers, chassent le petit et le moyen délinquant en flagrant délit. Ceux qu’on appelle souvent les « saute dessus », recrutés dans le corps des gardiens de la paix sur la base du volontariat, trois semaines de formation spéciale au maniement des armes et aux techniques de combat, et des perspectives de primes et promotions plus prometteuses qu’ailleurs. Lafon a choisi la Police Urbaine sans doute par goût pour ce type de police, il aime accompagner ses hommes sur le terrain, il aime l’ambiance, la cohésion du groupe, et il est très apprécié par ses subordonnés.

En 2004, il dirige ces brigades dans le commissariat du 19° arrondissement de Paris. Une nuit, il tourne avec l’une de ses brigades, une infraction routière est constatée, le chauffeur n’obtempère pas, il est pris en chasse, arrêté, un peu tabassé, et pour lui apprendre à vivre, les Bacmen lui coincent un enjoliveur entre les fesses (je n’invente pas…). Lafon est là, et assiste à toute la scène. Libéré après une garde à vue, l’automobiliste porte plainte. On est à Paris, pas en banlieue, l’affaire fait un peu causer. Le ministre de l’Intérieur (Sarkozy) parle de « brebis galeuse » et promet des sanctions exemplaires. L’affaire est jugée en 2008. Le commissaire Lafon couvre ses hommes, pas un mot au juge. Quelques condamnations pour les exécutants, et Lafon est condamné à un an de prison avec sursis et un an d’interdiction d’exercer pour « abstention volontaire d’empêcher un crime ou un délit en train de se commettre ». Le juge émet des doutes sur ses capacités à commander des hommes. Il est mis à pied pendant un an, avec solde, puis réintégré.

En 2012, à 38 ans, il est promu commissaire divisionnaire. Les promotions sont cogérées par les syndicats et la hiérarchie. On est loin de la « brebis galeuse ».

Bien plus, quelques mois plus tard, Lafon est choisi pour diriger le commissariat d’Aulnay, banlieue difficile en région parisienne. Là, il s’agit d’un choix qui en dit long. La hiérarchie et les syndicats pensent que les méthodes de commandement du commissaire (proximité avec ses hommes donc aimé, peu regardant sur les méthodes ou la déontologie, muet devant les juges en cas de bavures) conviennent dans « les territoires perdus de la République » dans lesquels, pensent-ils, il faut de la brutalité pour dominer la rue.  A leurs yeux, Lafon est un vrai chef.

En 2017, dans cette même ville d’Aulnay, toujours sous la responsabilité du commissaire Lafon, sans surprise, grosse bavure. Une brigade de police urbaine effectue un contrôle d’identité de routine au pied d’un immeuble, qui dégénère. Un des policiers (blanc) transperce avec sa matraque télescopique l’anus et, sur une profondeur de dix centimètres, les intestins d’un jeune noir qu’il contrôle. Viol ou pas viol ? Pas viol dit le procureur, puisque le policier affirme ne pas avoir eu l’intention de violer. Viol, dit de son côté le juge d’instruction, l’ampleur des dégâts corporels subis par la victime semblant écarter la thèse du pur hasard. Après hospitalisation et soixante jours d’ITT (interruption temporaire de travail), le jeune homme sera peut-être handicapé à vie, et le procès n’a toujours pas eu lieu, à ma connaissance.

Ce n’est pas fini. Après Aulnay, on retrouve le commissaire Lafon au commissariat d’Asnières, où il exerce ses qualités de meneur d’hommes. Il est sur une rive de la Seine dans la nuit du 25 au 26 avril 2020, il surveille l’une de ses brigades qui, sur l’autre rive, course un immigré qui tombe dans la Seine, ce qui fait rire les policiers. « Les bicots, ça sait pas nager, ça coule…. Lui mettre des pierres aux pieds… ». Arrestation, et peut être (bruits suspects) un tabassage dans le fourgon de police sur le chemin du commissariat. Histoire de se faire comprendre. Ce genre de police et de policiers colle aux basques du commissaire Lafon, un vrai chef, donc responsable de l’action de « ses hommes ».

Cette courte biographie dit que dans un commissariat, la qualité du commandement est un enjeu vital. Et pour juger de cette qualité, il faut savoir quelle police on veut, définir un projet pour pouvoir choisir des chefs capables de le mettre en œuvre. Police de guerre ou police de « proximité », (même si le terme a été discrédité par Sarkozy) avec les citoyens ? Le choix revient aux politiques, ce sont eux les responsables.

Interview dans Fondu au noir

Interview dans Fondu au noir

Interview dans Fondu au noir

J’ai été interrogée par Marie Van Moere, pour la site Fondu au noir, à l’occasion de la sortie de Marseille 73, début juin 2020. Le texte de cette interview se trouve ci-dessous mais également sur les pages de ce très bon site, ICI.

Marie Van Moere : Dominique Manotti, vous êtes historienne contemporaine de métier et de formation. Sur votre site internet, vous indiquez avoir décidé d’exprimer votre mécontentement politique à l’arrivée au pouvoir de François Mitterand en 1980 par la voie de l’écriture romanesque. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?

Dominique Manotti : J’ai aimé et pratiqué mon métier d’historienne, en même temps que je militais très activement, pendant les années 60 et 70. Mais je n’ai jamais aimé l’histoire pour « la beauté de la chose ». Durant ces années, je réinvestissais tout ce que j’apprenais, tout ce que je découvrais en histoire dans mon activité militante. L’histoire (toutes époques confondues) me donnait une compréhension, une profondeur, un terrain d’expérimentation pour ma pratique militante. A l’élection de Mitterrand à la présidence de la République (1981), j’ai eu le sentiment de changer d’époque. Pendant vingt ans, je m’étais battue pour un changement de société, qui reposait nécessairement sur une articulation entre luttes sociales et réformes dans le champ du politique. L’élection de Mitterrand (dont je n’ai jamais pensé qu’il était un « homme de gauche ») a très vite signifié pour moi l’étouffement des luttes sociales, donc de tout espoir d’articulation et de changement profond de la société. Comme Mitterrand a reçu une incontestable adhésion populaire massive, je n’avais plus qu’à faire le constat de mon échec, celui de ma génération. Mon sentiment n’était pas du mécontentement politique, comme vous le dites, c’était du désespoir, profond. Du coup, mes recherches historiques perdaient pour moi beaucoup de leur sens. Il était temps de faire un bilan personnel. Cela m’a pris une dizaine d’années, après lesquelles j’ai commencé à écrire des romans. Parce que raconter, c’est résister, comme l’a dit Sepulveda. Parce que la culture populaire est vitale pour l’avenir d’un pays, et que j’avais envie d’y apporter ma petite contribution… Je ne regrette pas ce choix.

MVM : Marseille 73 est votre treizième roman. La colère et la nécessité du roman noir politique n’ont jamais disparu en vous. L’histoire prend place en 1973 et nous rappelle que les événements d’Algérie ont perduré longtemps dans les esprits. Souhaitez-vous avec ce roman que les lecteurs se souviennent de cette période tragique durant laquelle le terrorisme d’extrême droite a tué plus d’une cinquantaine de personnes d’origine maghrébine notamment algérienne ou aimeriez-vous plutôt que nous nous rappelions que rien n’est acquis concernant les droits de l’homme, même fondamentaux ? Pensez-vous que nous pouvons retenir les leçons de cette histoire ?

DM : Certes, rien n’est acquis, jamais. Mais cette période de la guerre d’Algérie et de l’après-guerre d’Algérie dit bien plus que ça. Notre politique d’expansion coloniale au 19e siècle a marqué profondément la société française toute entière. Supériorité de la race blanche, mission civilisatrice de la Grande Nation, les républicains y ont cru, c’était des certitudes, des vertus républicaines. La perte des colonies au 20e siècle a donc été un traumatisme majeur, encore accru par l’arrivée en France, après la défaite en Algérie (1961-1962), d’un million de réfugiés pieds noirs dont les plus militants portaient à l’extrême l’idéal colonial, et vivaient son abandon comme la trahison de la France elle-même, de sa mission civilisatrice. C’est dans le refus de cette défaite de l’idéal colonial que s’enracine le Front National et tout le courant dominant de l’extrême droite française. Le traumatisme de la perte de l’Algérie Française me semble (hypothèse…) avoir marqué notre société plus en profondeur, plus sur le temps long, que l’esprit de la Résistance lui-même. Pour moi, Marseille 73 n’est pas une leçon pour aujourd’hui, ce récit raconte aussi, en fait, la société d’aujourd’hui. Voir les réactions de la population, les réactions de la police. Les réactions de nos gouvernants sont aussi très proches de ce qu’elles étaient à l’époque : la négation du racisme endémique dans les institutions.

MVM : En 1967, après un voyage au Vietnam, Susan Sontag a écrit « la race blanche est le cancer de l’histoire humaine ». Elle n’a modifié son propos qu’en indiquant que la mise en mots de sa pensée diffamait les cancéreux. En tant qu’historienne et écrivaine de romans noirs politiques, vous rapprocheriez-vous de son avis ?

DM : Non. D’abord, je n’ai pas l’habitude de penser en termes de race, blanche, noire ou quelle qu’elle soit. Ensuite, cette phrase est très polémique. Pas sûr que ce genre d’abstractions nous fasse beaucoup avancer. Mais je comprends bien la réaction émotionnelle de Sontag au lendemain de la guerre du Vietnam, pendant laquelle son pays, les USA, cette grande démocratie dont nous sommes les alliés, se sont livrés à toutes les opérations de destruction massive de la population que l’on puisse imaginer (arrosages de régions entières au napalm, destruction des digues autour de Hanoï etc…). J’imagine à quel point il est traumatisant pour une citoyenne américaine de le constater sur place. C’est au-delà des mots.

MVM : Dans ce roman, vous donnez une voix à la famille Khider : Malek, Adel, Mohamed et leur père, Français d’origine algérienne, installés à Marseille avant la guerre d’indépendance. En parallèle de la grande rigueur avec laquelle vous tenez le déroulement de l’intrigue, l’histoire de cette famille amène émotion et chaleur à votre propos. Comment créez-vous ces personnages ? Appartiennent-ils plus que les autres à la sphère intime de l’imagination durant le processus d’écriture ?

DM : Vous soulignez un point important. Oui, les personnages sont pour moi le domaine de l’imaginaire. Je travaille mon roman à partir d’une documentation importante, dont j’extrais des faits réels. Dans un premier temps je sélectionne ceux qui me semblent marquants, qui parlent le mieux de leur époque. Puis je creuse la documentation autour d’eux, pour leur faire dire tout ce qu’ils ont dans le ventre. Je m’autorise quelques libertés (je suis romancière, pas historienne), par exemple dans ce roman, je raconte l’histoire sur quelques mois, dans la réalité elle s’est passée sur presque deux ans. Mais je respecte les faits, leur ordre de succession, et je m’oblige à construire mon histoire sans les déformer. Les personnages, c’est différent. Je les imagine, je les invente, c’est ma liberté et ma jubilation, ils font la vie du roman. Je suis heureuse que vous ayez aimé la famille Khider. Je leur suis évidemment très attachée. Mais au risque de vous décevoir, je dois vous dire que j’aime aussi Nadia, le Gros Marcel (j’aime beaucoup le Gros Marcel), le lieutenant Grimbert, si Marseillais… Et je salue chapeau bas le journaliste Cipriani et l’avocat Berger. Il me semble difficile de faire vivre des personnages sans ressentir pour eux une forme d’empathie, c’est comme ça que je conçois mon travail de romancière. Ceux pour lesquels je ne parviens pas à l’empathie (Picon dans ce roman) sont sans doute moins vivants.

MVM : Votre écriture est réputée pour sa précision. Pas un mot de trop ne vient gêner le propos et le déroulement implacable de l’intrigue. On lit que votre écriture vous place dans la lignée de James Ellroy comme d’autres auteurs français. Cette façon de légitimer les auteurs français vous satisfait-elle ? A-t-on encore besoin aujourd’hui d’être parrainé par l’Amérique pour exister en tant qu’auteur français de romans noirs ?

DM : Vous vous souvenez sans doute de la phrase de Manchette (citation approximative): « Le défaut du polar français, c’est qu’il n’est pas américain. » Trêve de plaisanterie. Non, je n’ai jamais cherché aucune légitimation du côté du polar américain. Ma recherche constante est de raconter, de décrire la société française telle que je la connais, or nos deux sociétés sont profondément différentes, et je crois n’avoir jamais utilisé aucun des stéréotypes du polar américain. Mais les influences littéraires sont ce qu’elles sont.

Mes références sont les romans français du 19e siècle, et les romans américains du 20e. J’ai lu plus de polars américains que de polars français, et vu plus de films noirs américains que de films noirs français. C’est mon histoire personnelle. Quant à ma recherche stylistique, elle est sans doute plus influencée par Dos Passos et Hammett que par Ellroy, même si c’est la lecture de L.A. Confidential qui m’a décidée à écrire des romans. Mais j’y ajouterai bien un peu de Sciascia et de Simenon. Je cherche une écriture précise, vous avez raison. Je cherche aussi un rythme de phrases adapté à l’action dans chaque scène, je cherche à faire avancer l’action dans toutes les scènes. Pas de « scènes d’ambiance », pas de digressions, même les scènes de baise doivent avoir une fonction dans l’avancement de l’intrique centrale. Pas de scènes d’exposition au début, ni de conclusions à rallonge à la fin. Billy Wilder disait : Quand une histoire est terminée, elle est terminée, pas de prisonniers.
Voilà. J’espère ne pas trop vous décevoir…