Histoire criminelle des États-Unis

Histoire criminelle des États-Unis

Histoire criminelle des États-Unis

Envie de dire à tous mes lecteurs et amis : Il y a un livre à lire pour comprendre le monde qui nous entoure, et c’est l’ Histoire criminelle des États-Unis, de Frank Browning et John Gerassi, journalistes, essayistes, enseignants, deux figures emblématiques de la New Left américaine des années 60-90. Le livre fut publié en 1980 aux États-Unis, traduit et publié en France en 1981, republié en 2015 pour la première fois dans une édition de poche, avec une version mise à jour, par Nouveau Monde Éditions.
C’est un livre que l’on dévore, malgré l’importance de l’appareil critique (personne n’est obligé de lire les notes en bas de page), et indispensable si l’on veut essayer de commencer à comprendre un tout petit peu l’Amérique d’aujourd’hui, pas seulement celle de Trump et de la NRA, mais aussi celle de la NSA, de la CIA et du monde des affaires. L’Histoire est un élément indispensable à la compréhension du présent, nous disent les auteurs :
« La combinaison d’un populisme de cowboy et du puritanisme violent de la Nouvelle Angleterre  – les grandes forces qui ont présidé à la fondation de l’Amérique –  ont créé un paradigme qui fait de la criminalisation des entreprises et de la vie quotidienne un élément clé de la réussite aux États-Unis. »
Les grandes périodes de cette histoire : la colonisation, la période post guerre d’indépendance, l’essor de la deuxième moitié du 19° siècle, la puissance dominante du 20° siècle. Les auteurs s’attachent à montrer qu’à chaque période correspondent des évolutions synchrones et des interpénétrations des forces économiques, des forces politiques, des organisations criminelles qui évoluent conjointement. Tout au long de cette histoire, la contestation sociale est traitée comme une activité criminelle. Le premier 19° siècle est marqué par la prolifération des milices de toutes sortes liées au maintien de l’esclavage, à la guerre contre les Indiens, à la conquête de l’ouest. Une histoire dans laquelle assassins, shérifs, voleurs, miliciens jouent des rôles totalement interchangeables et toujours ultra-violents. (J’admire la capacité de la culture américaine à transformer ces affrontements sanguinaires en épopée des temps modernes.)
Lorsqu’arrivent les vagues d’immigration de masse du tournant du 19° siècle formées de populations à forts sentiments communautaires, elles vont se structurer progressivement autour de mafias criminelles identitaires, totalement imbriquées dans les pouvoirs politiques locaux, et qui jouent un rôle de régulation et d’intégration des nouveaux arrivants dans la structure économique et sociale du pays d’accueil. Elles constituent même les seuls véritables instruments de promotion sociale dans ces milieux immigrés très pauvres.  La démonstration est convaincante.
Vient ensuite le 20° siècle, l’après guerre, la prohibition… Le crime organisé s’imprègne des mutations économiques. Il intègre les modes organisationnels des entreprises mises au point par Ford, puis la révolution économique de l’après deuxième guerre mondiale.
Je ne résiste pas au plaisir de cette citation d’Al Capone : « Tout ce que j’ai fait, ç’a été de vendre de la bière et du whisky à nos citoyens les plus respectables. Je n’ai jamais fait que répondre à une demande existante. » Al  Capone, le champion de la politique de l’offre…
Conclusion de Browning et Gerassi : « Le crime fait partie intégrante du système américain. C’est un moyen de faire beaucoup d’argent, un système régulateur des affaires, une façon de faire vivre les pauvres… et bien souvent un moyen de gouvernement. »

Histoire criminelle des Etats-Unis (The American Way of
Crime), de Frank Browning et John Gerassi, traduit de l’anglais
(Etats-Unis) par Jean-Pierre Carasso, Nouveau Monde, « Poche Histoire »,
624 p., 10,90 €

Etat d’urgence

Etat d’urgence

Etat d’urgence

J’ai publié dans Libération, le 3 février 2016, une tribune sur la prolongation de l’état d’urgence. On peut la trouver sur le site de Libé ou la lire ci dessous

La prolongation de l’état d’urgence, dangereuse et inutile

Petit à petit, à travers quelques rares «retours d’expérience» émanant de professionnels, les contours de la police de l’état d’urgence se dessinent. Deux témoignages nous ont été fournis la semaine passée. Ils méritent qu’on y revienne quelques instants, pour essayer de comprendre (et non excuser) la façon dont il fonctionne, et ses effets prévisibles. Le premier est un article du journal le Monde sur la suspension par le Conseil d’Etat d’un arrêté d’assignation à résidence validé par le ministère de l’Intérieur sur la base de trois notes blanches.
La première note décrit l’assigné à résidence comme un individu rôdant de façon suspecte autour de l’immeuble dans lequel réside Riss et faisant usage de son téléphone portable à proximité. Comportement qui déclenche la suspicion des CRS qui montent la garde autour de l’immeuble : mission de repérage photographique pré-attentat ? Ils transmettent aux services de renseignements. Jusqu’ici, rien à dire. Les services transforment cette information en note blanche sans aucun travail de vérification supplémentaire et donc sans s’apercevoir que la mère de l’individu suspect réside dans le même immeuble que Riss et que l’individu en question lui rend visite chaque jour. Et les CRS ou les services communiquent l’information qui n’en est pas une, une note blanche n’a jamais été une information, au journal Le Parisien qui titre un article : «Etranges rôdeurs autour du domicile de Riss.» Au pluriel, les rôdeurs sont plus impressionnants. L’article est repris par le ministère dans le dossier d’assignation à résidence. Là, on croit rêver.
Deuxième note blanche, l’individu incriminé fréquente une mosquée salafiste. Affirmation qui n’est étayée par rien, ni photos ni témoignages, rien. Donc, on passe. La troisième note blanche est la reprise pure et simple d’une note blanche des services qui date de 2008, le suspect aurait été mêlé à un trafic de voitures volées, sans savoir, ou en choisissant d’ignorer, qu’une enquête judiciaire datant de 2009 l’en avait totalement disculpé.
Le contrôle exercé sur le travail des services est délibérément inexistant, puisque la représentante du ministère déclare aux juges du Conseil d’Etat : «Si les services de renseignement l’ont écrit, c’est que c’est vrai.» Là, on frôle l’humour foutraque des Marx Brothers dans les couloirs du ministère. Mais ce n’est pas forcément rassurant.
Ce que révèle ce dossier (absence de travail de renseignement, absence de contrôle du ministère), parce qu’il est allé jusqu’au Conseil d’Etat, risque fort d’être valable pour beaucoup d’autres, mais nous ne le saurons jamais. Car la prolongation de l’état d’urgence a comme fonction première de couvrir aux yeux du public la misère des services français et de permettre au gouvernement de laisser filer l’incurie, sans heurts avec sa police. La prolongation de l’état d’urgence est un facteur d’insécurité pour la population française parce qu’elle sert à masquer la misère sans contribuer à réformer les services, sans leur apprendre à travailler.
Il faut dire, affirmer, répéter qu’un contrôle démocratique sur l’activité des services est une condition de son efficacité, en mettant à jour les faiblesses et les erreurs pour les corriger plutôt que de les cacher et de les répéter. Autre aspect, on est bien obligé de se demander si nous ne sommes pas en train de glisser du contrôle d’identité au faciès (que nos policiers pratiquent sans jamais l’admettre, que nos dirigeants ont avalisé par lâcheté) à une assignation à résidence au faciès.
Le deuxième témoignage va dans ce sens. Il s’agit de celui d’un policier du renseignement territorial publié dans Libération du 25 janvier. Il nous dit : «Pour nous, l’état d’urgence a quand même des bénéfices secrets… Il permet aux équipes de se connecter au terrain. Ouvrir la porte d’un appartement pour vérifier ce qui s’y trouve n’est jamais vain. S’il n’y a pas d’armes, il y a peut-être une photo de Ben Laden accrochée au mur.» Ce policier part du constat que les renseignements ont perdu le contact avec le terrain. Là-dessus, aujourd’hui, tout le monde est d’accord. Comment reprendre contact pour savoir ce qui se passe ? Grâce à la prolongation de l’état d’urgence, en multipliant les perquisitions au hasard, on finira bien par trouver un portrait de Ben Laden sur un mur… Enfin, au hasard, pas tout à fait. Après l’assignation à résidence au faciès, voici la perquisition au faciès. Notre policier, avide de reprendre contact avec le terrain (c’est-à-dire avec les gens qui l’occupent), peut-il comprendre la rancœur, la haine, les ravages que ces perquisitions au hasard produisent dans la population qui les subit, dans un arbitraire total ?
La prolongation de l’état d’urgence et les pratiques policières qu’elle induit sont destructrices du tissu

social. Répétons-le, seul un contrôle démocratique permanent, vigilant, sur le long terme peutcontribuer à produire des services de renseignement fiables et donc efficaces dans une société relativement apaisée.

Mitterrandolâtre ?

Mitterrandolâtre ?

Commémoration des vingt ans de la mort du grand homme de la gauche française dans tous les médias, témoignages respectueux, attendris, simulés, de tous les mitterrandolâtres, et les autres. Pas moi. Pendant vingt ans, de 1960 à 1981, j’ai été de tous les combats d’une gauche qui essayait de se définir comme porteuse d’un changement profond de société, une révolution, si on a encore le droit d’utiliser ce terme dans la France de l’état d’urgence. Dernières années de la guerre d’Algérie et soutien au FLN, combat dans le monde communiste contre le stalinisme, soutien au peuple vietnamien contre l’impérialisme américain, mai 68, puis les Cahiers de Mai, le syndicalisme des années 70 porteur de luttes sociales très novatrices. J’ai vécu l’élection de Mitterrand comme la fin de cette période, et la fin de tout espoir de changement social à l’échelle de ma génération. Pourquoi ?
Certes, j’avais une méfiance profonde à l’égard de l’homme qui fut ministre de la justice de 56 à 58 dans le gouvernement Guy Mollet (socialiste), élu sur un programme de paix en Algérie et qui envoya le contingent faire la guerre et donna les pouvoirs spéciaux à l’armée en Algérie. Le ministre de la justice couvrit la torture, les exactions, et fit guillotiner des dizaines de militants (49) de la lutte pour l’indépendance. D’après certains, il aurait eu quelques réticences, certains affirment même qu’il aurait été « anticolonialiste ». S’il eut des convictions en ce sens, il les garda pour lui, sans doute prêt à tout pour continuer à exercer le pouvoir.
Mais il n’y avait pas que cette méfiance « a priori ». Il y eut immédiatement le constat de ce qu’était la façon de gouverner des socialistes au pouvoir. J’étais à l’époque engagée, en tant que syndicaliste, dans la gestion des suites d’une bagarre victorieuse pour la régularisation des travailleurs clandestins de la confection dans le Sentier parisien. Première lutte de travailleurs clandestins, 11 000 régularisations obtenues en 1980. Nous avions beaucoup à dire à partir de nos combats sur le travail clandestin, sur la flexibilité nécessaire à inventer, sur des mécanismes différents de sécurisation des parcours professionnels à mettre en œuvre, nous avions entrepris de négocier une nouvelle convention collective autour de ces notions novatrices. C’était une occasion précieuse d’aborder les questions de flexibilité du contrat de travail dans le cadre d’une mobilisation ouvrière, et avec des propositions émanant des travailleurs eux mêmes. Cela n’intéressait pas les socialistes au pouvoir. Le gouvernement nous a envoyé quelques énarques qui nous ont expliqué qu’ils savaient mieux que les syndicats ce qu’il fallait faire et qu’ils avaient le pouvoir de le faire : abandon de toute réflexion sur la flexibilité, et mise en oeuvre d’une régularisation de masse, ce qui était un coup d’épée dans l’eau, et tout le monde le savait. Mais ça ne fâchait personne. J’ai compris, pas de façon abstraite, mais de façon immédiate et concrète, que le pouvoir mitterrandien ne gouvernerait pas dans un rapport dialectique avec les luttes sociales, mais dans une conception purement étatique, ce qui était la porte ouverte à toutes les manœuvres d’appareil politiciennes, dans un régime présidentiel bonapartiste où n’existent pas de contrepoids forts au pouvoir du président. A ce jeu, à la longue on détruit l’esprit d’une société.
Mitterrand incarnait à l’époque l’espoir de très larges couches populaires de la société française. Il était donc incontournable, un autre discours était devenu inaudible. Il fallait en passer par l’expérience mortifère du mitterrandisme.
Une anecdote permet de faire le lien avec les socialistes d’aujourd’hui. Jean Marie Le Pen avait fait de la fête de Jeanne d’Arc, le 8 mai, la fête nationale du FN. En 1988, il décide de changer la date, et de la célébrer le 1° mai. Mon sang d’ancienne syndicaliste ne fait qu’un tour. Certes, les commémorations de la fête du travail sont bureaucratiques et ennuyeuse, mais de là à laisser le terrain au FN… J’enseignais alors à Paris VIII. Je me précipite vers ma fac, en me disant que nous allons être nombreux à vouloir réagir. Dans le parking de la fac, je tombe sur deux anciennes connaissances des années 60, Henri Weber et Patrick Farbiaz, deux anciens trotskistes reconvertis avec plus ou moins de réussite dans l’appareil socialiste ou dans les couloirs du pouvoir. Heureuse de les voir, je leur dis :
– Vous aussi vous venez pour voir ce que l’on peut faire pour empêcher Le Pen de manifester le 1° mai ?
Ils me regardent avec commisération et Farbiaz me dit :
– Tu n’as rien compris. Les voix FN nous sont indispensables pour gagner les élections, sans le FN pour prendre des voix à la droite, nous sommes battus. Alors évidemment, on ne fait rien contre lui. 
Je me tourne vers Henri Weber, que je connaissais très bien, un homme intelligent, avec une très forte culture politique et historique :
– Toi qui connais l’histoire, tu sais avec certitude comment cela s’est toujours fini, des manœuvres de ce genre, pendant la République de Weimar ou ailleurs : par la victoire de la droite extrême.
– Tu dramatises…
Je suis rentrée chez moi, et quelques temps après, j’ai commencé à écrire des romans.
Je regarde l’actuelle génération socialiste, formée à la politique par Mitterrand, et je pense que les héritiers sont dignes du maitre. Ils pratiquent avec dextérité les multiples manœuvres et jeux politiques, la triangulation comme dit la presse, et le pouvoir personnel, à l’abri de tous les débats démocratiques. Il leur reviendra le mérite d’avoir achevé la destruction de la gauche en France et d’avoir soigneusement préparé l’arrivée de la droite extrême au pouvoir.
Je ne vois aucune raison d’être mitterrandolâtre.

Lire le noir, lire le présent

Lire le noir, lire le présent

Lire le noir, lire le présent

 

Un mois après les attentats, les premières critiques sur l’état d’urgence commencent à apparaître. Il était temps. Voici un texte rédigé pour NoirCon, une convention sur le roman noir qui doit se tenir l’année prochain aux États Unis. Une contribution au débat qui s’ouvre en France.

Romans policiers et romans noirs sont des familles littéraires proches mais distinctes. Proches, parce que l’une comme l’autre ont fait le choix du crime comme outil d’analyse, scalpel qu’elles utilisent pour désosser, mettre à nu les individus et les sociétés. L’une comme l’autre font le pari que la vérité d’une société, d’un individu, est dite par ses non dits, ses déviances ou ses marges. Mais si l’outil est le même, le regard porté par l’auteur sur son objet est très différent. Pour simplifier, dans le roman policier ou le thriller, l’enquête permet d’identifier le ou les fauteurs de troubles, les hommes mauvais et déviants, différents. La lutte du Bien contre le Mal n’est jamais bien loin. A la fin du récit, le ou les mauvais sont identifiés et sanctionnés, l’ordre et la sécurité sont rétablis, le lecteur peut dormir tranquille. En ce sens, le roman policier est une littérature de divertissement.
Le roman noir raconte une tout autre histoire, le scalpel du crime révèle une nature humaine et une machine sociale infiniment complexes. L’individu criminel n’est pas le barbare, le monstre, le Mal incarné, il est le frère de sang de l’auteur, du lecteur, il parle d’eux, il n’est pas hors de l’humanité, il est enkysté dans un ensemble de relations sociales complexes et solides. Il n’est pas un individu isolé, aisément « expulsable », mais un des rouages d’une machine sociale complexe, un des instruments utilisés dans le maintien de l’ordre, un des relais des mécanismes de pouvoir. Tous les personnages, et le lecteur avec eux, sont engagés « en un combat douteux ». La littérature noire n’est pas manichéenne. Et si, d’aventure, l’ordre est rétabli à la fin d’un roman noir, l’auteur et les lecteurs sont conscients qu’il ne s’agit que du rétablissement provisoire des apparences.
Cette place du crime et des criminels au cœur du fonctionnement de nos sociétés n’est pas un phénomène nouveau ou récent. Pour s’en souvenir, il suffit d’évoquer le rôle de la mafia sicilienne utilisée dès le 19° siècle par les grands propriétaires fonciers de l’île pour faire tenir tranquilles les paysans sans terre, le rôle des organisations criminelles dans la gestion des colonies françaises, ou celle des gangsters dans la conquête de l’ouest aux États-Unis. Pour bien comprendre, et finir par admettre, cette proximité, cette angoissante perméabilité des sociétés humaines au crime et aux criminels, il faut, par exemple, se rappeler l’impunité des officiers et des hommes de main nazis après la guerre (seuls une cinquantaine de chefs ont été jugés à la fin de la guerre), le silence complice qui les a protégés et la facilité avec laquelle ils se sont reconvertis en paisibles et honnêtes citoyens allemands, ou en savants américains. Et finalement en éléments indispensables d’un rempart de notre civilisation contre l’Union Soviétique.
Si les auteurs de romans noirs fouillent ainsi dans l’histoire, dans le passé, ce n’est pas pour le plaisir de le reconstituer  mais pour trouver les faits qui entrent en résonance avec le présent. Avec une subjectivité revendiquée, ils plongent dans le passé pour  reconstituer le présent, donner de la profondeur à leurs récits du temps présent. Ils sont les historiens du présent. Et la lecture des romans noirs aide à comprendre le présent particulièrement noir que nous vivons. Dans ces derniers jours, les criminels par excellence sont les djihadistes de l’EI. Nos hommes politiques se déchainent à les traiter de monstres, s’acharnent à prétendre qu’ils représentent le Mal absolu, sont hors de l’humanité, ce qu’ils entendent signifier par une mesure purement symbolique, le retrait de la nationalité. Ce sont des âneries contreproductives qui leur font perdre du temps et dont la seule fonction est de leur donner bonne conscience. Il serait plus efficace de remédier sans tarder aux défaillances multiples et structurelles de notre police et de nos services de renseignement. Les djihadistes appartiennent à l’humanité, nous n’y pouvons rien. Si l’on veut les combattre efficacement, il vaudrait mieux se donner les moyens de comprendre comment, dans un univers en voie de mondialisation, beaucoup de ces djihadistes occidentaux ou baasistes sont imprégnés de la culture occidentale et se l’approprient en partie pour la retourner contre l’Occident et construire leur « récit héroïque ». C’est particulièrement évident dans le domaine de l’audiovisuel et de la propagande qui font appel aux mêmes « valeurs » que nos jeux vidéo. Et comprendre quels sont  les réseaux de guerres et de pouvoirs dans lesquels ils sont enserrés au Moyen Orient en feu, comme les criminels nazis avaient construit un récit mis en scène utilisant très largement la culture européenne dont ils étaient les enfants, et s’étaient construits à travers des réseaux compliqués d’influences, d’alliances, de pouvoir. Ces mécanismes ne sont pas inédits. Et, dans cette histoire, nous ne sommes pas plus les représentants du Bien absolu qu’ils ne sont les représentants du Mal absolu. Nous sommes, nous aussi, dans ce Moyen Orient en feu, pris dans des réseaux multiples, plus ou moins anciens et maitrisés de guerres, de massacres, d’alliances.  S’il n’y a pas de « monstres », n’oublions pas non plus ce que disait Saint Paul :  « Les justes n’existent pas » sur cette terre. Saint Paul, le premier auteur de roman noir ?

Past and present

Past and present

Past and present

Samedi 9 mai 2015. Soirée au Magasin Général de Tarnac.
Je présente La formation de la classe ouvrière anglaise d’Edward P. Thompson, une somme mythique, une œuvre d’historien à la recherche des origines de la classe ouvrière anglaise entre 1780 et 1830, une “histoire du point de vue des vaincus”, à la croisée de toutes les tendances intellectuelles les plus vibrantes et les plus créatrices dans le mouvement ouvrier européen des années 60 et 70, opéraïsme italien, conseillisme français, marxisme anglais. Un livre dont j’ai traduit une partie, dans une autre vie.
J’étais curieuse de cette première rencontre avec « ceux de Tarnac », dont L’Honorable Société avait repris quelques éléments d’histoire. Ils venaient d’apprendre la mise en examen de plusieurs d’entre eux, dont trois pour terrorisme. Nouvelle qui ne semblait pas les perturber outre mesure. La salle du Magasin général était pleine, d’un public attentif, studieux, malgré la difficulté du sujet : le livre est énorme, l’histoire ouvrière anglaise inconnue des Français, et la démarche de Thompson aux antipodes de notre culture marquée par le structuralisme et l’althussérisme.
Après une heure et demie de « conférence », repas collectif. Bonne surprise, la bouffe faite de façon collective était très bonne, les Tarnac sont écolos, d’accord, mais pas tendance ascétique. Ça fait plaisir. La discussion a donc pu se prolonger par petits groupes, dans la bonne humeur.
On prend rendez vous pour le procès. Au cœur de celui-ci il y aura le livre collectif des Tarnac, L’insurrection qui vient, qui est retenu comme fondement de l’accusation de « terrorisme » et attribué à Julien Coupat, qui nie en être l’auteur. Le livre peut être téléchargé sur le site de l’éditeur (cliquez ici). Lisez le. Pour vous faire une idée.
Voir un autre compte rendu de mon déplacement dans le Limousin sur le site de Serge Quadrupanni qui en était l’initiateur.

La ville noire est une fête

La ville noire est une fête

La ville noire est une fête

 

En décembre 2013, l’université du Luxembourg organisait, sous le direction de Sylvie Freyermuth et de Jean Francois P. Bonnot, un colloque intitulé Malaise dans la ville. Il a reuni des ecrivains, des philosophes, des sociologues, des historiens, des urbanistes, des specialistes de sciences cognitives et des critiques litteraires s’intéressant tous au « mal de vivre » en milieu urbain.
Les actes du colloques ont eté publies sous le titre « Malaise dans la ville » aux editions P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, en 2014
Ma contribution, intitulée La ville noire est une fête se trouve ICI

Ecrire pour comprendre

Ecrire pour comprendre

Ecrire pour comprendre

 

Les responsables de la revue allemande Das Argument m’ont demandé de réagir sur le thème de leur numéro : « Pratiques critiques esthétiques », et cela m’a plongée dans un abîme de perplexité. Je n’ai aucune formation philosophique, ni même littéraire au sens strict, et je me sens incapable de disserter sur ce sujet. Pour m’en sortir, j’ai décidé de m’en remettre à ma formation d’historienne, en tentant d’analyser comment, à travers quels évènements, quelles rencontres, quels combats et quelles défaites, j’ai fini par devenir une romancière, ce qui peut constituer une sorte de réponse à leur question.
Ce texte a été publié dans le numéro 309 de la revue.
Vous pouvez en lire la version française en cliquant ICI.
Das Argument est publié par ma maison d’édition allemande Argument Verlag

 

Chili, 40 ans après

Chili, 40 ans après

 
J’avais participé, en 1973, à l’animation du Comité Chili. A l’occasion du quarantième anniversaire du coup d’État, les anciens du Comité se sont réunis, pour tenter de mieux comprendre, avec le recul, ce qu’a représenté cet événement.

Noire Mostra

Noire Mostra

Noire Mostra

 

Retour de la Mostra de Venise, ce 9 septembre 2013. Une dizaine de jours éprouvants. La tonalité générale des films est noire, très noire. Violences et morts à tous les étages. M’ont particulièrement marquée :

  • Philomena de Stephen Frears, qui reprend l’histoire des Magdalena, ces jeunes filles-mères irlandaises enfermées dans des couvents qui leur volent leurs enfants pour les vendre à de riches Américains. Frears traite cette histoire avec une justesse de ton et un économie discrète dans la description des classes sociales que seuls les Anglais maîtrisent.
  • Miss Violence, d’un metteur en scène grec, Alexandros Avranas, qui nous introduit dans une famille où l’homme règne en maître sur trois générations de femmes et de filles. Il dévoile peu à peu, par petites touches inquiétantes, une porte fermée à clé, des silences, des regards, des maladies à répétition, l’inceste et la prostitution des filles par le paterfamilias, dans un univers parfaitement ordinaire. Impressionnant. Un film peu spectaculaire, mais dont on se souvient longtemps.

Même les histoires d’amour, à la Mostra, n’avaient d’autres issues que la fuite ou la mort, comme dans le très beau Tom à la ferme de Dolan.

Alors, pourquoi ? Lubie des sélectionneurs ? Je ne crois pas. Le cinéma actuel, mis à part les petits films bien gentils et ceux de superhéros, nous donnent à voir notre impuissance à penser un projet positif, une utopie mobilisatrice. Il ne reste plus qu’à raconter le monde comme il va. Raconter, c’est résister. Et, à la Mostra, plusieurs cinéastes l’ont fait très bien. Le film noir n’est plus un film de genre, c’est le grand courant du cinéma contemporain. Comme la littérature noire est celle du 21° siècle.

Nota bene

Ne pas oublier Les Terrasses de Merzak Allouach. Alger vue de ses terrasses, bien loin de celle d’Ettore Scola. Violence familiale, violence religieuse, meurtres, comme dans toute la Mostra, mais avec une distance et une touche d’humour à la Fellag. Un film noir mais dont l’existence donne des raisons d’espérer.