La ville noire est une fête

La ville noire est une fête

La ville noire est une fête

 

En décembre 2013, l’université du Luxembourg organisait, sous le direction de Sylvie Freyermuth et de Jean Francois P. Bonnot, un colloque intitulé Malaise dans la ville. Il a reuni des ecrivains, des philosophes, des sociologues, des historiens, des urbanistes, des specialistes de sciences cognitives et des critiques litteraires s’intéressant tous au « mal de vivre » en milieu urbain.
Les actes du colloques ont eté publies sous le titre « Malaise dans la ville » aux editions P.I.E. Peter Lang, Bruxelles, en 2014
Ma contribution, intitulée La ville noire est une fête se trouve ICI

Ecrire pour comprendre

Ecrire pour comprendre

Ecrire pour comprendre

 

Les responsables de la revue allemande Das Argument m’ont demandé de réagir sur le thème de leur numéro : « Pratiques critiques esthétiques », et cela m’a plongée dans un abîme de perplexité. Je n’ai aucune formation philosophique, ni même littéraire au sens strict, et je me sens incapable de disserter sur ce sujet. Pour m’en sortir, j’ai décidé de m’en remettre à ma formation d’historienne, en tentant d’analyser comment, à travers quels évènements, quelles rencontres, quels combats et quelles défaites, j’ai fini par devenir une romancière, ce qui peut constituer une sorte de réponse à leur question.
Ce texte a été publié dans le numéro 309 de la revue.
Vous pouvez en lire la version française en cliquant ICI.
Das Argument est publié par ma maison d’édition allemande Argument Verlag

 

Chili, 40 ans après

Chili, 40 ans après

 
J’avais participé, en 1973, à l’animation du Comité Chili. A l’occasion du quarantième anniversaire du coup d’État, les anciens du Comité se sont réunis, pour tenter de mieux comprendre, avec le recul, ce qu’a représenté cet événement.

Noire Mostra

Noire Mostra

Noire Mostra

 

Retour de la Mostra de Venise, ce 9 septembre 2013. Une dizaine de jours éprouvants. La tonalité générale des films est noire, très noire. Violences et morts à tous les étages. M’ont particulièrement marquée :

  • Philomena de Stephen Frears, qui reprend l’histoire des Magdalena, ces jeunes filles-mères irlandaises enfermées dans des couvents qui leur volent leurs enfants pour les vendre à de riches Américains. Frears traite cette histoire avec une justesse de ton et un économie discrète dans la description des classes sociales que seuls les Anglais maîtrisent.
  • Miss Violence, d’un metteur en scène grec, Alexandros Avranas, qui nous introduit dans une famille où l’homme règne en maître sur trois générations de femmes et de filles. Il dévoile peu à peu, par petites touches inquiétantes, une porte fermée à clé, des silences, des regards, des maladies à répétition, l’inceste et la prostitution des filles par le paterfamilias, dans un univers parfaitement ordinaire. Impressionnant. Un film peu spectaculaire, mais dont on se souvient longtemps.

Même les histoires d’amour, à la Mostra, n’avaient d’autres issues que la fuite ou la mort, comme dans le très beau Tom à la ferme de Dolan.

Alors, pourquoi ? Lubie des sélectionneurs ? Je ne crois pas. Le cinéma actuel, mis à part les petits films bien gentils et ceux de superhéros, nous donnent à voir notre impuissance à penser un projet positif, une utopie mobilisatrice. Il ne reste plus qu’à raconter le monde comme il va. Raconter, c’est résister. Et, à la Mostra, plusieurs cinéastes l’ont fait très bien. Le film noir n’est plus un film de genre, c’est le grand courant du cinéma contemporain. Comme la littérature noire est celle du 21° siècle.

Nota bene

Ne pas oublier Les Terrasses de Merzak Allouach. Alger vue de ses terrasses, bien loin de celle d’Ettore Scola. Violence familiale, violence religieuse, meurtres, comme dans toute la Mostra, mais avec une distance et une touche d’humour à la Fellag. Un film noir mais dont l’existence donne des raisons d’espérer.

La revanche de HAL

La revanche de HAL

La revanche de HAL

Le journal “l’Humanité” a publié, le 2 janvier 2013, une nouvelle qu’il m’avait commandée. La voici
:

Bugdorf

Bugdorf

Bugdorf

 
1° Novembre 2012 à Burgdorf, près de Berne.
Une soirée de lectures (Le Corps Noir), de chansons (Michel Bülher, de magnifiques chansons, dont une petite merveille en patois vaudois) et de discussions avec le public dans l’atelier du sculpteur Luginbühl, un héritier de Tinguely, Beaucoup de monde. Aux pauses,  les énormes sculptures métalliques s’animent, et vin chaud pour tout le monde. Soirée magique. Cette photo (Michel Bühler, la plus grande des sculptures de Luginbühl et la Manotti) pour en conserver la mémoire.
 

Le noir, la politique et la crise

Le noir, la politique et la crise

Curieux. Autour de l’élection présidentielle, la demande sur le polar et le roman noir est montée en flèche… Pour ma part, deux demandes : le site du Nouvel Obs a souhaité savoir ce que sont, selon moi les rapports entre roman noir et politique, notamment après la signature, par plus d’une centaine d’auteurs, d’un appel en faveur de Mélenchon. Le Magazine Littéraire, pour sa part, consacre un dossier sur “Le polar aujourd’hui”, dans son numéro de mai 2012, dans lequel j’étais invitée à évoquer le roman noir et sa puissance de tir.
Voici mes deux contributions.

Roman noir et politique

Question posée : quels sont, à votre avis, les rapports entre roman noir et politique ? L’ambiance de la campagne électorale, la signature d’une pétition pro Mélenchon par de nombreux auteurs de romans noirs ne doivent pas être étrangères à ce soudain intérêt. Je réponds sans hésitation : Oui le roman noir est un roman politique, mais quelques précisions rapides sont nécessaires pour bien situer ce dont nous parlons. Il y a une culture du roman noir, qui s’enracine d’un côté dans le roman social de l’autre dans le roman criminel policier, deux traditions françaises, anglaises américaines des 19° et 20° siècles. Comme le roman policier, le roman noir met le crime au cœur du récit. Le crime comme crise, rupture, donc moment révélateur des structures profondes , une fois que la couche superficielle des bienséances et des convenances a explosé. Un peu comme la lave de matière en fusion dans une explosion volcanique. Le crime est utilisé comme un scalpel qui permet de fouiller, décortiquer, mettre à nu. Le crime enfin comme façon d’accrocher le lecteur, en qui toute cette matière en fusion résonne profondément. Mais le roman policier ne s’intéresse qu’aux crimes que des individus commettent sur d’autres individus, le genre de crimes que des enquêteurs (policiers ou autres) parviennent à élucider, ce qui permet de punir les coupables, de rétablir l’ordre, et la tranquillité du lecteur. Le romancier noir, lui, en bon héritier des grands romans sociaux des deux siècles passés, s’intéresse aux individus non pas isolés, mais inclus dans des groupes sociaux, il s’intéresse aux rapports de ces groupes sociaux entre eux, et donc aux crimes liés à ces rapports, complètements imbriqués dans le fonctionnement des rouages de la grande machine de notre société. Le crime alors n’apparaît plus comme une anomalie à laquelle on peut remédier, mais comme l’huile et le carburant de la machine elle même. Alors, évidemment, il n’est plus possible de penser en termes de résolution, châtiment, rétablissement de l’ordre, puisque le crime que raconte le roman noir est lui même constitutif de la machine, de son ordre de marche. Il raconte que la seule valeur universelle aujourd’hui, au delà des discours électoraux, est celle de l’argent. Il raconte comment un petit groupe de dirigeants socialement soudés rackette légalement et sans risques les grandes entreprises, à travers primes, salaires, stock options et parachutes dorés comment le mélange de l’argent « propre » et de l’argent noir s’opère sous la garantie des Etats dans les paradis fiscaux. Il raconte les trafics de drogues et de marchandises en tout genre, les blocus, les contrebandes, les formes d’exploitation sauvage et meurtrière. La montée des « agents » et intermédiaires divers, comme acteurs indispensables de la culture de la corruption, et le recours aux gros bras et aux tueurs en cas de besoin. Comment combattre ces crimes sans briser la machine ? Devant une telle question, on voit bien qu’il n’est plus possible de conclure par un happy end euphorisant.
Voilà en quoi le roman noir est un roman profondément politique, parce qu’il raconte le fonctionnement de la machine, ce qui est l’objet même de la politique. Et il fleurit dans les périodes de crise, quand la croûte superficielle des apparences se craquelle, et que la lave bouillonne quasiment à l’œil nu.
Nos pères en littérature (les miens en tout cas) : Dashiell Hammett qui écrit pendant la crise de 1929, et Ellroy pendant l’explosion du libéralisme sauvage  des années 70 et 80. Le premier est communiste, le deuxième se réclame de la droite musclée. L’occasion de dire que le rapport du roman noir à la politique n’est pas un rapport simpliste, du type de la « littérature engagée » des belles années du communisme. La puissance du roman tient à l’acuité de l’œil de l’auteur, à l’exercice de son esprit critique, à sa liberté créatrice, à la grandeur de son écriture. Pas à son opinion politique personnelle. Quand je lis ou relis la première phrase de American Tabloïd (Ellroy) : « L’Amérique n’a jamais été innocente. », j’en ai le souffle coupé. Chaque lecteur est libre de l’interprétation, de l’utilisation qu’il fait d’un livre. Pour moi, Ellroy est la critique la plus puissante que j’ai lue de la société américaine.
Le roman noir sera probablement la grande littérature du 21° siècle, parce que nous n’en avons pas fini avec toutes ces histoires qu’il est souvent le seul à raconter.

Le noir, chroniqueur de crise

Où en est le roman noir ? Il est en grande forme, merci. A la mesure de la crise ambiante, dont il est un chroniqueur. Le genre nous a donné, ces dernières années, quelques grands livres. J’en prends quatre. Je ne cherche pas à être exhaustive, et je ne suis pas critique littéraire : c’est un choix purement subjectif.
« La Griffe du Chien », de Don Winslow d’abord. Un gros livre, vingt-cinq ans de guerre à la drogue menée par les Américains, la DEA, sur le territoire du Mexique, le lecteur n’a pas un instant de répit, et à l’arrivée, l’Etat mexicain est détruit, le Nord Mexique ravagé par la violence et sous contrôle des narcos, la guerre contre la drogue bel et bien perdue.
« Romanzo Criminale » de Giancarlo De Cataldo, dix à quinze ans d’histoire de l’Italie, des années de plomb aux années 90, vues à travers la formation d’une petite bande de délinquants romains, son ascension, ses liens avec la mafia, les services secrets, la loge P2, les hommes politiques, puis son explosion, tandis que rien, au plus haut niveau, ne change.
Dans « La Chasse au Renne de Sibérie », Julia Latynina raconte comment fonctionne une grande entreprise en Russie, rackettée par les mafieux et les flics, impossibles à distinguer, comment elle ne survit qu’en flouant, à son tour, ses banques et ses racketteurs.
« A la trace », de Deon Meyer, le Sud Africain, roman jubilatoire, dans lequel la menace terroriste émerge au milieu de la contrebande de rhinocéros et de diamants, avec un portrait de groupe extraordinaire des services spéciaux sud africains, des policiers honnêtes, accrochés à leur travail, intelligents. Ils prennent des initiatives. Mais face à une menace terroriste dont ils n’arrivent pas à décider si elle est réelle ou fantasmée, ils sont toujours sur une piste un peu à coté , toujours un temps de retard, ils ne font pas avancer l’histoire, ils courent après sans jamais la rattraper, devant un lecteur navré et inquiet, qui aimerait bien leur donner un coup de main, mais ne peut qu’enregistrer leur impuissance.
Tous ces livres agrippent le lecteur, le secouent, lui font sentir concrètement, physiquement, à travers des personnages qu’il fréquente, des scènes d’action auxquelles il participe, comment bat le cœur du monde. Ils lui permettent, une fois le livre refermé, de regarder de façon un peu plus lucide la société qui l’entoure, de comprendre les massacres à répétition du Nord Mexique, la Russie de Poutine et des multimillionnaires de l’opposition, la complexe, foisonnante et fragile Afrique du Sud ou l’Italie de Berlusconi. Ce qui est, après tout, une des fonctions de la littérature.
Tous ces romans sont les fruits d’une culture littéraire commune. On n’écrit pas du noir par hasard, ou par désoeuvrement.
Ils sont d’abord au croisement du roman social français, anglais ou américain dont ils reprennent l’ampleur de vue, l’individu conçu comme un être social, pris dans l’enchevêtrement des groupes sociaux et les rouages d’une société organisée, et du roman policier français et anglais du 19° et 20° siècle auquel ils empruntent la construction du récit autour du crime conçu comme la rupture de l’ordre, et du très vif intérêt (Boltanski parle d’excitation) que cette rupture fait naître chez le lecteur. Le crime comme un révélateur et un scalpel pour désosser les sociétés impose sa ligne tendue au récit noir comme au roman policier. Mais cet héritage a été profondément remanié, au moins deux fois, au cours du 20° siècle.
Dans le roman policier, si le crime est une rupture de l’ordre dont l’Etat est le garant, l’enquête qui structure le récit vient le rétablir, et les enquêteurs sont les figures romanesques de cet Etat sécurisant. Mais la première guerre mondiale, la crise de 29 qui suit dans la foulée ébranle la confiance dans la capacité de l’Etat, et donc de la police à rétablir l’ordre. Le hard boiled qui naît aux Etats Unis dans les années 20 décrit un monde dans lequel flics, voyous, hommes politiques sont également corrompus. Celui qui est chargé de rétablir l’ordre, c’est le héros solitaire, personnage très enraciné dans la culture américaine, le privé qui se bat au nom de la morale, qui mène un combat moral, la lutte du bien contre le mal, mais qui définit seul ce qu’est le bien et la morale. Dashiell Hammett donne son style au noir naissant, le behaviourisme. (Simplification évidente, mais l’article est court). Si les hommes vivent en société, si la société est une « mécanique », on peut raconter ce que les divers personnages font, leurs actions et leurs interactions, cela est objectif, et épuise le sujet, peu importe ce que les protagonistes pensent des uns et des autres, et ce qu’ils pensent d’eux mêmes. Le récit doit être tendu, le lecteur saisi à la première ligne, ne doit pas pouvoir souffler, pas de digressions ni de recherches artificielles. Hammett prend une distance considérable par rapport à ses personnages, et garde un style systématiquement objectif.
Et puis, Ellroy vint. A l’époque du « Tricky Dicky » (Nixon) et du libéralisme triomphant sur les USA, et bientôt sur le monde. Il regarde autour de lui, raconte les flics de L.A. (Dudley Smith, Ed Exley, les autres), les hommes politiques américains,  (Kennedy dont il démonte le mythe, Johnson, Nixon…) et leur entourage, le FBI de Hoover, Howard Hughes, les hommes de main, la mafia à l’œuvre, il ne juge pas, il constate : ces hommes sont mauvais, et ce sont eux qui ont fait l’Amérique. Sans rien renier de l’héritage Hammett, il enregistre la fin du lonesome détective, la fin du bien et du mal, l’ordre est désormais le produit de la violence, du crime et de la corruption. Et il le raconte dans un style aussi rapide, brutal que celui de Hammet, mais il sait, et c’est admirable, charger sa phrase de sensations, mettre son lecteur en prise directe avec des personnages  très chargés de chair et de sang, et lui même vit dans ses livres avec toutes ses tripes. Alchimie extrêmement complexe à réaliser. Comme Hammett en son temps, il a vraiment changé la façon d’écrire le noir, et tous ceux qui l’écrivent aujourd’hui lui en sont redevables, même s’ils ne parviennent pas toujours (pas souvent) à l’égaler, ou même à l’approcher.
C’est tout cet héritage qui permet de comprendre pourquoi et comment le roman noir est bien armé aujourd’hui pour affronter le récit du monde comme il va, l’histoire du capitalisme triomphant à l’échelle du monde. La diffusion du genre, à partir du berceau occidental, est d’ailleurs impressionnante.
Le roman noir raconte sur le fonctionnement réel et non pas fantasmé de nos sociétés des choses que tout le monde sait, plus ou moins, mais ne veut pas admettre, ou a peur d’admettre. Sur le rôle de l’argent, par exemple. La seule valeur universellement reconnue aujourd’hui est la richesse. Gagner beaucoup d’argent, encore plus. C’est pour affranchir l’argent, le libérer, que les Etats ont construit et garantissent les paradis fiscaux qui permettent à toutes les formes de richesses, blanches ou noires, de circuler hors de tout regard dans les mêmes tuyaux et de s’entraider. D’ailleurs, cette notion d’argent blanc ou propre… (si j’avais le temps, j’adorerais m’amuser à une comparaison avec la littérature noire et blanche). Est-il propre l’argent de l’évasion fiscale, non seulement admise, mais institutionnalisée ? Les retraites chapeaux et autres parachutes dorés sont-ils autre chose que le produit du racket organisé par un petit groupe socialement soudé sur les bénéfices des entreprises ? Une forme de racket tellement plus policé que celui qu’exercent les truands…Arrêtons là. La liste serait longue. Disons simplement que la littérature noire ne manque pas de sujets, et a les outils pour les traiter. Elle est la grande littérature du 21° siècle. Hélas. Et une grande littérature citoyenne, comme Dickens ou Hugo le furent en leur temps.

La Griffe du chien, Fayard,  2007
Romanzo criminale,  Métailié, 2006
La chasse au renne de Sibérie de Julia Latynina, Actes Noirs, 2008
À la trace, Seuil, 2012
Énigmes et complots : Une enquête à propos d’enquêtes, Gallimard, « NRF essais », 2012.

Préface

Préface

Préface

A l’occasion de son premier roman Les anges s’habillent en caillera, que j’avais aimé, j’ai rencontré l’auteur, Rachid Santaki. Il m’a demandé d’écrire une préface pour son deuxième  roman, Des chiffres et des litres, je l’ai  fait avec plaisir, parce que c’est une vraie rencontre. La voilà.

J’ai rencontré Rachid Santaki aux portes du Salon du Livre de Paris, en 2011 où il était en train de vendre son roman « Les Anges s’habillent en caillera » à la criée, planté devant un gros van noir très voyant sur lequel s’étalait, peint en lettres gigantesques, le titre de son livre. C’était, dès le premier coup d’œil, le « choc des cultures ». Si j’écris, moi aussi des romans noirs, je viens d’un autre univers que celui de Rachid. J’ai près de 70 ans, un long passé d’universitaire, je publie mes romans chez des éditeurs hyper classiques, pour qui le livre est une sorte d’objet  sacré, qu’on commercialise presque à regret (j’exagère, mais pas tant que cela). J’aurais pu passer mon chemin, avec un air réprobateur. Mais j’ai aussi un long passé de militante d’extrême gauche dans les années 60, de syndicaliste dans les années 70, qui m’a donné le goût de la confrontation. Et puis j’avais lu et aimé « Les Anges… », j’ai sauté sur l’occasion et je suis allée dire à Santaki tout le bien que je pensais de son livre. Et nous avons entamé une discussion, qui se poursuit toujours, sur la littérature noire et sur la société qu’elle met en scène. Et me voilà en train d’écrire une préface pour « Des litres et des lettres ».
Dans ce nouveau roman, j’aime la façon dont Rachid Santaki raconte l’univers des petits dealers de drogue dans les cités de banlieue, avec brutalité et sans fioriture, un univers que nous avons l’habitude de rencontrer dans les séries ou les romans noirs américains, moins chez nous, en France, où tout est souvent noyé dans toute une série de considérations romantiques sur la loi du milieu, l’honneur des truands et les vertus de l’amitié. Ici, rien de tout cela. Les règles sont simples : gagner le maximum d’argent le plus vite possible, et chacun pour soi. La trahison est constante, et il faut savoir tuer sans hésitation si l’on veut ne pas être tué. En somme, les mêmes règles que dans les affaires, le bizness, dont j’ai parlé dans plusieurs de mes romans, avec des mœurs à peine différentes, ou dans l’univers des traders sur lequel je travaille en ce moment, où les assonances sont encore plus saisissantes.
Ces petits dealers ne sont pas des asociaux, ils vivent dans leur cité, ils en respirent la culture,  ils lui appartiennent par mille liens : la famille, l’école, l’amour du foot, de la boxe thaï, du rap, les souvenirs des anciens qu’ils continuent à faire vivre. Ils entretiennent des rapports fréquents et compliqués avec certains policiers, qui connaissent les différents clans, exacerbent la concurrence entre eux, orchestrent les trahisons à leur profit personnel et à celui du « maintien de l’ordre public ».
S’ils appartiennent à la cité, les petits dealers s’y enferment aussi. La seule occasion d’en sortir est une soirée dans une boite de nuit, où ils retrouvent d’autres jeunes qui leur ressemblent. Les projets qui les amèneraient à en sortir, à se frotter à une société plus vaste, comme par exemple devenir journaliste, restent à l’état de rêve, comme s’ils renonçaient à mettre en œuvre les moyens concrets pour y parvenir. Entre les différentes équipes, les stratégies de pouvoir ne sont guère complexes, elles débouchent rapidement sur le recours à la violence. Et le roman nous dit ce désespoir : il n’y a pas d’ailleurs, il n’y a pas d’avenir, il n’y a pas d’espoir, les petites bandes de ce roman sont condamnées à cette criminelle concurrence fratricide.
Roman noir. Après, reste la formidable énergie de ces vies bouillonnantes. Suite au prochain livre de Rachid Santaki ? “

Des chiffres et des litres, Ed. Moisson Rouge, paru le 1° mars 2012

Hommage à mon ancien libraire

Hommage à mon ancien libraire

Hommage à mon ancien libraire

L’Amour des Livres, bulletin professionnel destiné aux libraires indépendants, m’a demandé de préfacer leur numéro d’été consacré aux poches et policiers. J’en ai profité pour rendre hommage à mon ancien libraire.

J’ai toujours nagé dans les livres. Je crois bien avoir appris la vie dans les romans. Pendant mon enfance et mon adolescence, je souffrais d’une véritable boulimie de lectures romanesques. Je vagabondais pendant le plus clair de mon temps, sans aucun guide, en totale liberté, dans la bibliothèque de mon père, très fournie et classiquement sage. En classe de seconde, j’ai eu la chance de tomber sur un mauvais professeur de maths. Ecrasée d’ennui, je me suis réfugiée au fond de la classe, et j’ai entrepris la lecture intégrale et systématique de la Comédie Humaine de Balzac, dans la collection de la Pléïade, en commençant par la première page du premier tome, et sans sauter un titre. Cet esprit de système venait sans doute d’un sentiment confus : si je volais du temps scolaire, au moins je l’utilisais avec méthode et sérieux. La lecture fut achevée dans l’année scolaire. Ma vocation de matheuse a sombré cette année là, je suis devenue une pure « littéraire », et c’est tant mieux.
En arrivant en fac, j’ai découvert le cinéma, et surtout, l’engagement politique. C’était l’époque de la guerre d’Algérie : l’engagement, en ces temps là, était violent, et dévoreur de temps. Pendant une bonne vingtaine d’années, j’ai perdu de vue la littérature. Quand il a fallu tirer un trait sur les espoirs et les projets des années 60 et 70, j’y suis revenue, avec une forme de désespoir.
C’est alors qu’entre en scène mon libraire. Une petite librairie, à moins de cinq cents mètres de chez moi, à Paris, dans le 19°, tenue par un homme mince, à la barbe poivre et sel, que nous trouvions la plupart du temps accoudé à ses rayonnages, en train de lire. Il était toujours disponible et avait un talent exceptionnel pour faire parler ses clients et pour les écouter. Il a suivi, accompagné pas à pas mes découvertes. Sa mezzanine était entièrement consacrée au polar. Je me souviens de la collection Rivages Noir quasi intégrale qui y occupait un mur entier. C’est là, dans cette mezzanine, que j’ai forgé ma « culture noire », tardive et sommaire, mais précieuse.
Un jour, mon libraire me dit : « Vous devriez lire LA Confidential, de James Ellroy, toutes affaires cessantes. » Je n’avais jamais entendu ce nom, jamais lu aucune critique, mais évidemment, j’ai immédiatement suivi son conseil.
Et ce fut une rencontre majeure. Découverte d’un style qui bouscule, qui pulse, qui rythme, d’une langue neuve, toujours affûtée, «maigre», efficace. Une histoire admirablement construite dans sa complexité sans faille, des personnages violents, composites, bouleversants, attachants. Le livre refermé, j’avais le sentiment d’avoir vécu dans mon corps autant que dans mon intelligence ces aventures, de mieux connaître cette société, radiographiée de façon réaliste et ravageuse. Je me suis précipitée sur tout ce qui existait d’Ellroy à l’époque. En moins d’un mois, c’était lu.
Retour au calme. J’ai essayé de réfléchir. Je venais de redécouvrir le pouvoir flamboyant de la littérature, sous une forme qui correspondait absolument à la façon dont je percevais la société française dans laquelle je vivais. Et personne ne l’avait jamais racontée comme cela. Si c’était possible de le faire, cela valait la peine d’essayer. Modestement, à ma main. J’avais cinquante ans, il était temps de s’y mettre. Depuis, je n’ai plus arrêté.
Et aujourd’hui, je voudrais rendre hommage au petit homme barbu, au libraire qui a organisé cette rencontre. C’était le bon livre, au bon moment. Quel talent.”

« Chéries noires »

« Chéries noires »

« Chéries noires »

J’ai publié, vers la fin de l’année 2000, un article dans la revue Raison présente, qui s’intéressait, dans son numéro 134 au thème “Littératures en marge, littérature en marche”.
J’y abordais la question des « chéries noires », c’est-à-dire des auteures de polar ou de noir. A la fin des années 80 et durant les années 90, les femmes font une apparition remarquée dans le roman noir français. Les « chéries noires » sont alors l’objet d’un phénomène médiatique, porté par les éditeurs et les critiques, qui repèrent dans leurs romans un univers féminin voire féministe. J’en discute ici.

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