50 ans après Marseille 1973 : l’histoire ne sert à rien

21 octobre 2022brève

Très souvent, dans les divers débats et rencontres auxquels je participe, on me pose la  question : « Pourquoi êtes-vous passée de l’Histoire au roman noir ? », avec, en sous texte une forme de reproche : « N’avez-vous pas abandonné une discipline « sérieuse » pour le roman futile ? » Ma réponse est toujours : « Parce que j’ai compris, au cours de mes nombreuses années d’historienne, que l’Histoire ne sert à rien. Les hommes politiques ne la connaissent pas, ne s’en servent jamais comme outil de réflexion. » Nous en avons ces jours-ci une démonstration éclatante.
Mon dernier roman, Marseille 73, évoque la campagne d’assassinats qui s’est déroulée en France, cette année-là.
À la suite d’une campagne gouvernementale musclée contre « l’immigration illégale » (1972), et l’adoption d’une « circulaire  Marcellin – Fontanet » qui a transformé 86% des travailleurs immigrés présents sur le territoire français en « travailleurs clandestins », l’extrême droite (Front National et Ordre Nouveau) lance une campagne contre « l’immigration sauvage ». Nombreux accrochages souvent violents contre les immigrés, dans tout le pays, puis l’étincelle. Le 25 aout 1973, à Marseille, un travailleur immigré algérien qui souffrait de graves troubles mentaux assassine au couteau un traminot à son poste de conducteur. Scène de crime sanglante, abominable. Je passe sur les détails. Le Méridional, quotidien marseillais publie un éditorial au vitriol de son patron, Gabriel Domenech, qui trouve de nombreux échos dans certaines déclarations d’aujourd’hui : « Nous en avons assez ! assez de voleurs algériens, assez de casseurs algériens, assez de fanfarons algériens, assez de trublions algériens, assez de syphilitiques algériens, assez de violeurs algériens, assez de proxénètes algériens, assez de fous algériens, assez de tueurs algériens. Il faut trouver un moyen de les marquer et de leur interdire l’accès au sol français ». Un Comité de Défense des Marseillais s’organise sur le mode des milices pied-noir en Algérie française quelques années plus tôt, et les assassinats de Maghrébins commencent. 17 ou 18 à Marseille en trois semaines, une cinquantaine sur la France entière.

Et personne n’y pense aujourd’hui ? Acharnement du gouvernement contre l’immigration « illégale » comme arrière fond déclencheur, un meurtre abominable par une jeune femme maghrébine, peut être  déséquilibrée, campagne Zemmour, tentations Ciotti et autres…
L’expérience de 1973 est-elle connue de nos hommes politiques, leur sert-elle dans leur réflexion politique ? S’en servent-ils pour mesurer les risques qu’ils font courir à notre pays en soufflant sur les braises toujours chaudes du racisme dans notre pays ? Je ne le pense pas. Alors qu’ils prennent le temps de lire des romans.

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