Lisez des romans

2 juin 2011

En une quinzaine de jours, le débat ouvert par l’arrestation de DSK aux Etats Unis a beaucoup évolué. On est passé d’une histoire traumatisante mais singulière à la mise en cause de la classe politique française, dans laquelle le machisme serait très lourdement présent. Rachida Dati, qui connaît bien le milieu, a résumé la situation un soir sur Canal+ : « Il y en a beaucoup qui doivent être un peu stressés, qui regardent leurs pompes en se disant vivement qu’on passe à autre chose. » Au fil des jours, quantité d’histoires remontent, depuis celle du sénateur maire Mahéas, dépôt de plaintes pour attouchements forcés en 2002, condamné en première instance, puis en appel, condamnation confirmée par la Cour de Cassation début 2011. Et rien dans la presse, pas un mot. Plainte en 96 contre Balkany, pour viol, retirée ensuite. Puis le témoignage contre lui de Marie Claire Restoux en 2010. Et puis ? Rien. Dans la presse ici ou là, des femmes politiques rapportent des plaisanteries et petites phrases entendues, d’un niveau atterrant de vulgarité et de bêtise. Et finalement Tron, obligé de démissionner du gouvernement. Et de nouveau la même antienne : tout le monde savait. Mais n’a rien dit.
Les citoyens, eux, ignorent tout, cela j’en suis sûre. Certains de mes romans évoquent les rapports étroits entre pouvoir politique et machisme appuyé. Réalisme oblige. Et dans toutes les rencontres avec les lecteurs, revient la question : Est ce que vous n’exagérez pas ? Est ce vraiment à ce point ? Et pourtant, bien sûr, je n’ai jamais imaginé pouvoir écrire une histoire qui approche celle que l’on impute aujourd’hui à DSK. Réalisme d’accord, mais il faut rester vraisemblable.
Ce silence de la presse s’abrite derrière le respect de la vie privée, notion avec laquelle je suis profondément d’accord. Mais évidemment, ce respect de la vie privée n’explique pas le silence sur les procès du sénateur Mahéas. Et la difficulté surgit dès qu’il s’agit de définir les limites de la vie privée.
Dans l’une de ses nombreuses prestations radiophoniques dans les quelques jours qui ont immédiatement suivi l’arrestation de DSK, Jean François Kahn a soutenu que DSK était loin d’être le seul à être un séducteur lourd dans la classe politique française. Incontestable. Et pour étayer cette information qui n’en était plus une, il a raconté que deux de ses consoeurs, parfaitement dignes de foi, avaient, l’une après l’autre, été accueillies par l’un des plus hauts personnages de l’Etat, dans son bureau, braguette largement ouverte. Là encore, il semble que toute la presse politique soit au courant, et connaisse le nom du personnage. Mais, enchaîne Kahn, si mes consoeurs ne portent pas plainte, je considère cela comme appartenant à la sphère de la vie privée, et cela ne me regarde pas. Comble de l’hypocrisie, de la complaisance, ou de l’aveuglement ? Comment ne pas saisir la violence que cette braguette ouverte inflige à ces femmes ? Comment pourraient elles un seul instant envisager de porter plainte sans autre résultat que d’être immédiatement éjectées du circuit de la presse politique ? Et probablement condamnées pour diffamation. La limite de ce qu’on appelle vie privée mérite un débat.
De même, quand trois femmes journalistes écrivent dans Libé : « Le rapport de force est finalement équilibré entre l’homme politique et la femme journaliste. Il peut lui faire des avances, elle peut (elle doit)… le relater dans son journal », il faut les rappeler au principe de réalité. Nous sommes en France. Il a fallu le « choc DSK » pour que l’on commence à parler et à écrire. La connivence entre le milieu des médias et les « élites » est très forte, au point d’être apparemment plus ou moins inconsciente. Nous n’avons pas de culture des contre pouvoirs. D’où le sentiment de toute puissance et d’impunité de nos politiques qui conduit certains hommes à la limite du viol, mais aussi une femme comme Nadine Morano à faire licencier du jour au lendemain une employée de grand magasin qui lui déplait. Les comportements sont les mêmes. D’où la dégradation en profondeur de notre démocratie, que nous ressentons tous tragiquement.
Je n’ai pas de conclusion, juste un conseil. Chers lecteurs, lisez des romans. Vous y trouverez parfois plus d’éléments de connaissance de votre société que dans la presse.

Share This