Lance flamme

26 novembre 2015

Je suis romancière de romans noirs, et le roman noir en dit long sur la période que nous vivons. Première remarque, pour écrire, décrire, analyser, comprendre, il faut utiliser les mots justes. La guerre, le mot déborde de partout. « Notre pays est en guerre », la phrase évoque dans notre mémoire collective 14-18 et 39-45, et évidemment le terme ne convient pas : chacun sent bien que notre pays n’est pas en guerre, pas encore. Et tout ce folklore de drapeaux et de Marseillaise, passée l’émotion de l’après attentats est parfaitement déplacé. Mais notre pays fait la guerre, hors de ses frontières. A qui fait il la guerre ? Au terrorisme, aux barbares terroristes, des gens étrangers à toute humanité. Exactement ce que récuse le roman noir, qui nous dit que le diable, le barbare, le mal absolu n’existent pas et que chaque homme porte en lui les pulsions de violence et de mort qu’il s’efforce de maitriser. Les terroristes, comme les personnages de romans noirs, sont les produits de causes et de circonstances multiples dont la situation au Moyen Orient est un exemple magistral. Sunnites contre chiites, Iran et Syrie contre Arabie Saoudite et Turquie, fierté arabe, guerres américaines, bénéfices du pétrole, Daech est une pièce d’un jeu d’une extrême complexité. Comme chez nous, nos djihadistes sont des adolescents très attardés, produits d’une société sans utopie dont l’unique valeur commune, quelles que soient les blagues que nous racontent nos politiques, est la recherche du profit.
Guerre au terrorisme, la chose n’est pas nouvelle, elle a commencé en 2001, elle est menée depuis 15 ans par la première puissance mondiale, et trois guerres plus tard, quel est le résultat ? Extension géographique et humaine continue du phénomène terroriste qui embrase maintenant une partie de l’Asie, tout le Moyen Orient, des pans entiers de l’Afrique. Et devient maintenant un accélérateur de la crise des systèmes démocratiques européens. Chez nous, la rhétorique guerrière va nous amener le Front National, comme la nuée porte l’orage. C’est ça que nous voulons ?
Dans Libération de ce 25 novembre 2015, la formule de Dominique de Villepin est magnifique : « Faire la guerre au terrorisme, c’est éteindre un incendie au lance flamme. »
Alors qu’est ce qu’on fait ? Nous ne sommes pas capables de nous arrêter cinq minutes, et de réfléchir ? Nos héros de romans noirs ont souvent une lucidité remarquable. Ils sont capables d’affronter la tragédie et le désespoir. Pas nous ?

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