“Bien connu…” 1

9 mars 2015

Le jugement du procès dit « du flash-ball » est actuellement (mars 2015) en délibéré, au palais de justice de Bobigny. Rappelons rapidement de quoi il s’agit : en mars 2010, au cours d’une manifestation de lycéens, le gardien de la paix Césaire blesse grièvement d’un tir de flash-ball en pleine tête un jeune lycéen de seize ans. Il affirme ensuite, sur procès verbal et à plusieurs reprises, avoir tiré en état de légitime défense, sous une pluie de pierres. Tous les témoins contredisent sa déposition, et deux vidéos prises avec des portables, déposées au dossier, établissent qu’il n’y avait pas de jets de pierres, et que le jeune lycéen n’avait pas d’attitude agressive à l’égard du policier.
Je retrouve là exactement les mêmes ingrédients que dans les situations racontées dans mon roman Bien connu des services de police. Un roman que les policiers et les juges rencontrés dans divers débats déclarent bien trop forcé, caricatural même.
Voyons de plus près.
Tir tendu en plein visage. Césaire se défend en plaidant l’incompétence. Il ne sait pas tirer, il n’a jamais visé le visage, l’a atteint par manque de chance, il manque de formation et d’entrainement. Plus inquiétant encore, Césaire, un policier expérimenté de 41 ans au moment des faits, perd le contrôle de ses nerfs dans une situation qui ne semble présenter aucun danger imminent. Mais sa hiérarchie lui a confié une arme de service et un falsh-ball, donc il s’en sert. Ce qui ressemble beaucoup à quelques situations racontées dans Bien connu… et toujours pas rassurant.
Encore plus grave, la manifestation achevée, le calme revenu, dans une ambiance qui ne lui est pas hostile, Césaire fait de façon parfaitement consciente un faux témoignage pour se couvrir, et le renouvellera à plusieurs reprises. Là, nous ne sommes plus dans le domaine de l’incompétence, un gardien de la paix de 41 ans est en mesure de comprendre ce qu’il dit quand il parle de jets de pierres et de légitime défense. Ses faux témoignages sont délibérés. C’est d’autant plus grave qu’un policier est dépositaire de l’autorité publique, ce qui signifie qu’il bénéficie d’une « présomption de légitimité » face à un simple citoyen, et qu’en l’absence de preuves matérielles, son témoignage l’emportera toujours sur celui du citoyen.
Or, le comportement de Césaire n’est pas une malheureuse exception. Les faux témoignages, dans la police, sont monnaie courante, pour se protéger, par corporatisme, par culture professionnelle. Et parce que cette faute lourde n’est pratiquement jamais sanctionnée. Dans mon roman, je parlais de « culture du faux témoignage ».
Au procès, le procureur tonne : « Dans ce procès verbal tout est faux… Sans les vidéos, nous étions au bord de l’erreur judiciaire… ». Et réclame, pour le tir en pleine tête et le faux témoignage… un an avec sursis. Beaucoup de bruit pour pas grand’ chose. Pas cher payé, monsieur le Procureur. Le faux témoignage d’un policier moins sanctionné que celui d’un simple justiciable ?
Tant que la justice ne se décidera pas à sanctionner lourdement le faux témoignage policier, contrepartie indispensable à la « présomption de légitimité » dont il bénéficie, à le dire, à l’afficher comme une question de principe, la culture policière du faux témoignage n’évoluera pas, et vous continuerez à tomber dans l’erreur judiciaire, monsieur le Procureur, peut être plus souvent que vous ne le pensez.

Mars 2015

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