Rappelons
très brièvement les faits : à Clichy-sous-Bois, deux gamins de banlieue meurent
électrocutés dans un transformateur électrique où ils s’étaient réfugiés pour
échapper aux policiers qui les poursuivaient, à l’automne 2005. Après dix ans
de combat, les familles obtiennent l’ouverture d’un procès contre deux
policiers, pour non assistance à personnes en danger. Le procès vient de se
tenir, le jugement sera rendu en mai. Mais déjà, un éclairage violent sur la
police, la justice et leurs rapports dans notre pays.
Le
drame commence par un « simple » contrôle d’identité au faciès, comme
il en existe des centaines chaque jour. Les policiers affirmeront ensuite qu’il
s’agissait de petits voleurs de matériels de chantier pris en flagrant délit. Rien
de tel, en fait. L’enquête établira que les gosses revenaient d’un entraînement
de foot. Mais culture du faux témoignage oblige. Cet épisode du faux témoignage
sera ensuite « oublié » au procès, semble-t-il. Les gosses, pris de
panique, s’enfuient, parce que les gosses de banlieue ont une peur panique des
flics, parce qu’ils n’ont jamais imaginé que la police était là pour les
protéger. Et les flics les poursuivent comme de dangereux criminels, parce que
force doit rester à la loi, sans blague. L’un des deux policiers mis en cause
les voit escalader une grille et pénétrer dans le périmètre qui entoure un
transformateur EDF, et dit à la radio de son QG : « S’ils entrent
dans le site EDF, je ne donne pas cher de leur peau. » Que fait il
alors ? Il alerte EDF pour faire couper le courant dans
l’installation ? Il prévient les pompiers ? Pas du tout. Il demande
des renforts pour cerner le site, et s’assurer que les deux gamins y seront
bloqués et ne pourront pas s’enfuir. Force doit rester à la loi, sans blague.
Les
deux gamins meurent, sans surprise. Quand l’enquête est bouclée, et qu’il
devient évident qu’après dix ans de manœuvres dilatoires, il faudra en venir au
procès, le procureur demande la relaxe. L’avocat de la défense est un mauvais
plaideur, d’après les récits des journaux, mais un ancien commissaire de
police. Il connaît bien les rouages de la machine. Et déclare tranquillement,
la veille de l’ouverture du procès, que 180 000 policiers soutiennent leurs
collègues innocents et ont les yeux braqués sur le tribunal. La menace est
claire, et elle pèse en ces temps de lutte antiterroriste.
Que
nous dit le procureur, en demandant la relaxe ? Il déclare, clairement, que les policiers ont
rempli leur rôle. Leur rôle n’est donc pas la protection des citoyens, tous les
citoyens, quelque soit la couleur de leur peau. Leur rôle est le maintien de
l’ordre, y compris par la peur, surtout dans les « quartiers
difficiles ». Et tant pis pour les accidents en cours de route. Que nous
dit l’avocat-commissaire, en faisant pression sur le tribunal ? Que sa
conception de la police est la même que celle du procureur, et qu’il faut
veiller à ce qu’elle n’évolue pas.
Que
nous diront les juges, en mai ? Nous verrons bien, mais contexte de lutte
antiterroriste tous azimuts, effondrement de la pensée progressiste, je ne suis
pas optimiste.
Mars 2015